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20 mSv de Bruno Meyssat : la menace invisible

© DR Bruno Meyssat – 20 mSv de Bruno Meyssat

 

20 mSv de Bruno Meyssat : la menace invisible

Par Chantal Boiron

 

Le décor est propre, net. Le sol, recouvert d’un linoleum blanc. Des gens en combinaisons blanches s’affairent, méthodiques et silencieux. Ils ont des gants, des bottes en caoutchouc. L’hygiène est omniprésente. Cela pourrait être un laboratoire scientifique, ou une salle d’hôpital. Une visiteuse venue voir un patient se protège le visage avec un masque chirurgical, à travers lequel Le couple s’embrasse fougueusement. En partant, la femme enlève son masque. Il est aussitôt ramassé, jeté à la poubelle. Une voix nous parle de « l’invisibilité du danger. »

20 mSv, c’est le titre du spectacle de Bruno Meyssat, qui s’est donné à la MC93 début décembre (1). 20mSv, c’est une mesure de radioactivité biologique : le seuil annuel d’exposition aux radiations fixé par l’État japonais après la catastrophe de Fukushima en mars 2011, seuil jugé admissible pour vivre ou travailler sur la zone sinistrée. Cette norme bien plus élevée qu’à Tchernobyl se standardise désormais à travers le monde.

À l’avant-scène, assis à une petite table de conférence, Masao Yoshida, directeur à l’époque de la Centrale de Fukushima, répond précisément aux questions qu’on lui pose sur la catastrophe nucléaire qui s’est produite après le tsunami. Il est évident que le gouvernement japonais n’avait ni prévu, ni anticipé les risques d’une contamination radiologique durable. Masao Yoshida explique comment, dans l’urgence, il a décidé d’outrepasser les ordres de la TEPCO et d’utiliser de l’eau de mer pour refroidir les réacteurs. On sait désormais que cet acte de désobéissance a permis d’éviter une plus grande tragédie : « Toutes les victimes de Fukushima ne sont pas encore nées » affirme Masao Yoshida. Il est mort d’un cancer en 2013.

 

 

Bruno Meyssat fait du « théâtre documenté ». Et non du théâtre documentaire. Lors d’un séjour au Japon, il a enquêté sur place. Il a filmé les abords de la centrale de Fukushima. Il a réuni des témoignages, des vidéos, des enregistrements sonores… Durant le spectacle, on entendra, entre autres, le témoignage d’un liquidateur de Tchernobyl. Bruno Meyssat ne dénonce pas : il lance une alerte, avec un geste artistique. Les interprètes parlent peu, sur un ton neutre. Une neutralité que l’on retrouve aussi dans leur jeu. On est ailleurs, sur une autre planète. Bruno Meyssat est un écrivain du plateau. Ses images sont belles et simples même lorsqu’il recourt à la technologie. Jamais elles ne cherchent à illustrer les propos des scientifiques et des témoins qu’on entend, ni les textes projetés au cours du spectacle. Entre le « texte » et le « visuel », il y a un décalage. Les images nous racontent des histoires plus intimes, le vécu de gens ordinaires contraints d’habiter une zone « durablement contaminée » : leur isolement, leur confinement, les examens médicaux sans fin… Et puis, comment habiter sa maison après une catastrophe nucléaire ? Comment prendre un bain de soleil même si, sur la zone, le seuil de radioactivité ne dépasse pas les fameux 20 mSv ? La prise de conscience passe aussi par un humour au second degré.

Évidemment, il y a la question, l’urgence de ce qui pourrait advenir un jour ou l’autre, des dangers « invisibles » qui planent sur les gens vivant près d’une centrale, notamment en France, le pays le plus nucléarisé au monde. Interrogé à l’Assemblée nationale par la députée Barbara Pompili, le 7 juin 2018, sur les normes de sûreté et la sécurité des installations nucléaires en France, le patron d’EDF n’est ni convaincant, ni rassurant.

À la fin de 20 mSv, les interprètes observent longuement et tristement la terre, une terre contaminée et stérile. Ils se mettent du rouge sur la bouche nous rappelant notre totale ignorance des risques, et que la vérité est passée sous silence. La dernière image est celle d’un mannequin : un enfant, le regard éteint.

 

 

20mSv : À la MC93, du 30/11 au 8/12 2018.

Du 8 au 18 janvier 2019 au Théâtre National de Strasbourg

Les 15 et 16 mai 2019 à la Comédie de Saint Etienne

Du 25 Janvier au 30 Janvier 2019 : la Compagnie Shaman de Bruno Meyssat présentera au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers Courtes pièces de Samuel Beckett, un montage de Catastrophe, Quoi OùPasImpromptu d’Ohio, avec deux extraits de Pour en finir encore.

 

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