© DR. Arianne Mnouchkine, Carlo Ripa di Meana et Melina Mercouri
Premio Europa per il Teatro ou l’histoire d’un Prix européen
très emblématique, en quelques dates très symboliques
Par Chantal Boiron
À l’occasion des soixante ans des Traités de Rome, ratifiés le 25 mars 1957, la 16e édition du Prix Europe pour le Théâtre (Premio Europa per il Teatro) aura lieu dans la capitale italienne, du 12 au 17 décembre 2017. Pour Alessandro Martinez, son Secrétaire général, c’est tout un symbole.
Le Prix Europe pour le Théâtre a vu le jour en 1987 à Taormina, en Sicile. Or, c’est là que s’était déroulée, trente-deux ans plus tôt, la fameuse Conférence de Messine qui est à la base des Traités de Rome et qui constitue, en quelque sorte, l’acte de naissance de la Communauté économique européenne ou CEE : « La nuit du 2 au 3 juin 1955, raconte Alessandro Martinez, les ministres européens des Affaires étrangères des six États membres de ce qui était encore la CECA se trouvaient réunis à Taormina. C’est au cours de cette nuit-là qu’ils ont fini de rédiger la Résolution de Messine. Un journaliste de la télévision belge m’a raconté qu’au petit matin, ils chantaient de joie dans les jardins du Palais San Domenico ! L’esprit de l’Europe avait soufflé, cette nuit-là, sur Taormina. » Dans ses mémoires, le ministre belge Paul-Henri Spaak, un des Pères fondateurs de l’Europe, écrira : « Le soleil se levait sur le sommet de l’Etna, lorsque nous nous retirâmes, fatigués mais heureux. »
Un Prix de théâtre européen emblématique
C’est justement au Palais San Domenico de Taormina que, le 1er juin 1987, eut lieu la première réunion pour le Prix Europe pour le Théâtre. Il faut dire que l’époque était alors plutôt favorable à une action communautaire culturelle : « C’était la Première Commission Delors. L’Italien Carlo Ripa di Meana avait été nommé commissaire européen à la Culture. L’une de ses premières initiatives fut de mettre en place l’Orchestre des jeunes musiciens de la Communauté européenne et, aussitôt après, le Premio Europa per il Teatro. Cela marquait la naissance, enfin, d’un discours sur la culture au sein de la Commission européenne. » Notons au passage qu’il faudra quand même attendre le Traité de Maastricht en 1992 pour que la culture entre officiellement dans le champ des compétences de l’Union européenne !
À Taormina, l’actrice Mélina Mercoúri, ministre de la culture de la Grèce, et Jack Lang, ministre de la culture de la France, qui avaient déjà créé ensemble le concept des Capitales européennes de la culture, seront également les fondateurs du Prix Europe pour le Théâtre : « Et c’est très important au niveau de la symbolique. »
Ariane Mnouchkine fut la première artiste récompensée. Suivront d’autres très grands noms du théâtre européen et international : Peter Brook, Giorgio Strehler, Heiner Müller, Robert Wilson, Luca Ronconi, Pina Bausch, Lev Dodine, Harold Pinter, Patrice Chéreau, Peter Stein… Le Prix gagnait en réputation et s’étoffait peu à peu. Ainsi, en 1990, le Prix Europe Réalités Théâtrales fut attribué, pour la première fois, à Anatoli Vassiliev. Lui succéderont : Giorgio Barberio Corsetti, Simon Mc Burney et le Théâtre de Complicité, Eimuntas Nekrosius, Christoph Marthaler, Alain Platel, Thomas Ostermeïer, Josef Nadj, Romeo Castellucci, François Tanguy, Rodrigo Garcia, Joël Pommerat …
Les aléas d’une itinérance forcée
En 2001, le Prix Europe était décerné à l’acteur français, Michel Piccoli. Ce fut la dernière fois, après neuf éditions, que le Prix avait lieu à Taormina : « Il y avait eu un changement de municipalité. Le nouveau maire n’en voulait plus. Et, même si c’était surtout la Région sicilienne qui finançait le Prix, le maire de Taormina avait un rôle décisif. » Il allait s’ensuivre, pour Alessandro Martinez et sa petite équipe, une itinérance contrainte avec l’obligation de trouver, à chaque fois, une nouvelle ville d’accueil. En seize ans, le Prix se sera ‘baladé’ à travers toute l’Europe, allant de Turin à Thessalonique (deux années de suite), de Wroclaw à Saint-Pétersbourg, puis à Craiova, en Roumanie… Cette année, il est de retour en Italie et, cette fois, à Rome.
Au fil des éditions, le Prix n’a cessé de grandir aussi bien au niveau de la programmation que du nombre des participants. « Déjà, à Turin, avec l’hommage rendu à Harold Pinter, le Prix avait connu une croissance incroyable. Plus tard, à Wroclaw, on comptera 400 journalistes internationaux. » Néanmoins, l’équipe se trouve confrontée à de graves difficultés matérielles, suite notamment à des engagements non tenus, et le fonctionnement du Prix reste précaire : « L’itinérance entraîne des problèmes d’organisation et de continuité. »
Voilà pourquoi Alessandro Martinez souhaite désormais que cela se passe comme pour le Prix européen du cinéma qui a lieu une année à Berlin et, l’année d’après, dans une ville européenne différente : « À l’origine, Mélina Mercoúri avait eu l’idée de faire le Prix une année à Taormina (qui en serait le siège fixe) et, l’année suivante, dans une Capitale européenne de la culture. C’était une belle idée. Il est certain qu’une alternance régulière, avec un siège fixe, nous assurerait une tranquillité économique. Et ce serait beaucoup plus simple à organiser. Quand le prix a pu avoir lieu à Thessalonique deux années de suite, cela s’est avéré pour nous bien plus facile la deuxième fois. On avait tout compris. La continuité, c’est fondamental notamment pour le Prix Europe Réalités Théâtrales. En principe, les candidatures pour ce Prix doivent d’abord servir à faire connaître des artistes qui n’auraient pas été connus autrement. Mais comme il n’y a pas eu de continuité entre Saint-Pétersbourg et Craiova, que le Prix n’a pas pu avoir lieu comme prévu, des artistes qui auraient dû être récompensés depuis longtemps ne l’ont pas été. Par exemple, lorsque Dimitris Papaioannou a été choisi, personne ne le connaissait. Aujourd’hui, alors qu’il va enfin recevoir son Prix à Rome, ce chorégraphe grec tourne partout ! »
Un moment de dialogue entre les théâtres d’Europe
Programmé à la mi-décembre, le Prix Europe pour le Théâtre marquera la fin des célébrations des soixante ans des Traités de Rome mais aussi l’ouverture de l’Année européenne du Patrimoine culturel qui aura lieu en 2018 : « C’est reconnaître ce Prix et, à travers lui, le théâtre qui est à la base de la culture européenne, comme un patrimoine européen. »
Cette édition romaine, très soutenue par le ministre de la Culture italien, s’annonce particulièrement brillante. Deux grands comédiens, Isabelle Huppert et Jeremy Irons, se partageront le Prix Europe. Ensemble, ils joueront pour la cérémonie de clôture, Ashes to Ashes de Harold Pinter au Teatro Argentina.
Six artistes recevront le Prix Europe Réalités Théâtrales dont ce sera la 14e édition : Suzanne Kennedy, Jernej Lorenci, Yael Ronen, Alessandro Sciarroni, Kirill Serebrennikov, Theatre N099.
Des Prix spéciaux seront attribués au Prix Nobel de littérature Wole Soyinka et au metteur en scène tunisien Fadel Jaïbi.
D’anciens « lauréats », Giorgio Barberio Corsetti, Robert Wilson et Peter Stein, seront eux aussi à Rome où ils présenteront, chacun, un spectacle. Nous y reviendrons …
Aujourd’hui, Alessandro Martinez se montre plus optimiste quant à l’avenir du Prix : « Plusieurs recommandations du Parlement ont été adressées à la Commission Européenne pour que le prix soit rétabli parmi ses priorités et qu’il soit accueilli dans les Capitales de la culture européennes. On a retenu que ce Prix était quelque chose de très important en Europe et qu’il y avait beaucoup de retours en images. Maintenant, il faut se battre tous ensemble pour que cela aboutisse mais pour ça, il faudrait que le monde du théâtre soit davantage uni. Le problème, c’est qu’on est trop souvent les uns contre les autres. Pourtant, il y a nécessité à lutter ensemble pour les questions essentielles. En 1999, ou en 2000, nous avions réussi à réunir trois grands réseaux de théâtre européens, la Convention théâtrale européenne, l’Union des théâtres en Europe et Théorème que Bernard Faivre d’Arcier venait de lancer, et on s’était battus tous ensemble. Résultat : nous avons obtenu d’être inscrits dans les actions majeures de la Commission avec la certitude d’avoir un budget fixe pour notre fonctionnement. C’était la première fois que des organisations théâtrales étaient considérées comme une priorité par l’Europe, et si nous avons réussi, c’est parce que nous avions travaillé ensemble. Un autre aspect très important, c’est que ce Prix contribue à créer des liens entre les théâtres européens. Alors, si le monde du théâtre européen se réunissait autour de ce projet, cela nous donnerait une force et cela créerait aussi entre nous un vrai moment de dialogue. »