© Virginie Lançon : Félicien Juttner (Lindoro) et Joséphine de Meaux (Zelinda) dans Feuilleton Goldoni, mise en scène de Muriel Mayette-Holtz
Feuilleton Goldoni : l’Amour en désarroi
Par Chantal Boiron
Si l’on veut passer un joli moment de théâtre, si l’on veut rire et être ému, il faut aller voir Feuilleton Goldoni, dans la mise en scène de Muriel Mayette-Holtz .
Directrice depuis 2019 du Théâtre national de Nice, Muriel Mayette-Hotz y a créé en mai dernier la trilogie de Goldoni, Les Aventures de Zelinda et Lindoro, dans la traduction de Ginette Herry. Goldoni l’a écrite en 1764. Alors exilé à Paris, il situe cependant l’action à Pavie, dans son Italie natale. Zelinda (Joséphine de Meaux) et Lindoro (Félicien Juttner) s’aiment. Ils s’aiment vraiment sauf qu’ils n’ont pas d’argent et que cela entrave tous leurs rêves d’être ensemble. Pour survivre, en effet, ils dépendent entièrement du bon vouloir de Don Roberto (Charlie Dupont). Lindoro est son secrétaire. Zelinda, que Don Roberto a recueillie depuis son enfance, sert de femme de chambre à son épouse, Eleonora (Tania Garbarski). Les deux jeunes gens essaient tant bien que mal de garder leurs amours secrètes. La tâche s’avère impossible avec Flaminio (Augustin Bouchacourt), fils d’un premier mariage de Don Roberto, et Fabrizio (Jonathan Gensburger), son valet de chambre, qui font tous deux la cour à Zelinda et semblent bien décidés à la séparer de Lindoro. Sans oublier Eleonora, véritable peste, qui est jalouse de la bonté de Don Roberto envers sa jeune protégée. C’est comme si le monde entier, enfin comme si le petit monde autour d’eux, se liguait contre leur bonheur.
Durant les trois pièces ( Les Amours de Zelinda, La Jalousie de Lindoro, Les Inquiétudes de Zelinda ), Goldoni nous fait suivre, de crise en réconciliation, de déclaration en rupture, les péripéties des deux jeunes amants. Ici, ce ne sont pas les portes qui claquent mais les armoires qu’on vide sur un malentendu, une dispute ou un renvoi… Le linge qui valse, y compris les chemises de Lindoro, cousues amoureusement… Les valises qu’on fait et qu’on défait… au risque de se retrouver à la rue, sans rien devant soi. Nos deux tourtereaux, disons-le, ne sont vraiment pas doués pour le bonheur : ils ont l’art de douter de tout, de tout compliquer. Une fois mariés, c’est la jalousie maladive, obsessionnelle de Lindoro qui l’aveugle, le rend violent et les empêche d’être heureux. Une fois riches, grâce à la générosité de Don Roberto envers Zelinda, c’est elle qui croit que Lindoro ne l’aime plus parce qu’il tente désespérément de lui cacher sa jalousie. À chaque instant, tout vacille et menace de s’écrouler. Ils ne cessent de remettre tout en question comme si, décidément, ils ne voulaient pas y croire alors que les autres autour d’eux (Eleonora, Flaminio, Fabrizio etc.), plus opportunistes, moins en quête d’un amour absolu, s’arrangent pour arriver à leurs fins et construire leur petit bonheur à eux.
Au centre du décor de Rudy Sabounghi, une méridienne propice aux confidences et aux révélations. Sa scénographie entremêle les différents lieux de l’action : la maison de Don Roberto, celle de la jeune cantatrice dont Flaminio tombe amoureux au risque de fâcher son père, ou les rues de Pavie, ce qui rend l’action encore plus fluide, plus rapide. Ses costumes, atemporels, mélangent les époques, nous rappelant que Goldoni reste notre contemporain. Cela semble fait de bric et de broc comme si nous étions dans un théâtre de tréteaux.
Et, puisqu’il y a une jeune cantatrice parmi les protagonistes, Muriel Mayette-Holtz accorde, dans sa mise en scène, une grande place à la musique de Cyril Giroux. Un piano, un musicien et une chanteuse sont sur scène en permanence. Dans son adaptation, elle a réduit chaque pièce à une heure vingt environ, ce qui permet de voir l’intégralité de la trilogie en cinq heures et demie. Cela vaut vraiment le coup de suivre dans la continuité l’évolution des personnages de Goldoni, de s’interroger avec l’écrivain vénitien sur la fragilité de l’amour et les incertitudes de la vie. On est dans la commedia dell’arte mais avec une note de mélancolie. Entre les rires et les larmes. Les intégrales permettent également de découvrir le beau travail de troupe des douze interprètes. Ils sont tous excellents, emportés par Joséphine de Meaux, époustouflante.
À La Scala-Paris, jusqu’au 3/10/21. Intégrales les samedis (15h) et les dimanches (17h).
Au Théâtre de la Cité à Toulouse (8-10/10/21) ; au Théâtre Liberté de Toulon (20-22/10/21); au Théâtre de Liège en Belgique (27-29/10/21) ; au Théâtre du Jeu-de-Paume à Aix-en-Provence (10-14/11/21) ; au Théâtre de La Criée à Marseille (8-10/12/21).