© DR Simon Gosselin – Marie Vialle et Patrick Catalifo dans Skylight de David Hare (texte français de Dominique Hollier), mise en scène de Claudia Stavisky
Skyligth : amour et controverses
Par Chantal Boiron
Avec Skylight, la pièce de David Hare (texte français de Dominique Hollier), qu’elle a mise en scène aux Célestins, Théâtre de Lyon, Claudia Stavisky nous amène à nous interroger sur la société dans laquelle nous voulons vivre à travers la fiction d’une banale rupture amoureuse, celle de Kyra (Marie Vialle) et de Tom (Patrick Califo).
Écrite à la fin des années 1990, dans une Angleterre marquée par les années Thatcher, la pièce de David Hare reste d’actualité alors qu’aujourd’hui les inégalités sociales s’aggravent et que deux visions du monde, deux conceptions de la société s’opposent radicalement : peut-on vivre égoïstement dans le confort, voire dans le luxe, faire de plus en plus d’affaires, gagner toujours plus d’argent quand, autour de nous, ça va mal ? Ou veut-on, au contraire, se battre pour plus de justice sociale, défendre ses convictions jusqu’au bout ? C’est à dire : que veut-on faire de sa vie? En ce sens, la pièce a une portée universelle. Avant de la monter à Lyon, Claudia Stavisky l’a créée à Shanghaï, avec des acteurs chinois. Un succès dans un pays qui compte de plus en plus de milliardaires alors que la pauvreté y persiste.
Le dilemme que soulève l’écrivain britannique est plus complexe qu’il n’y paraît. Sa pièce ne cherche pas à démontrer quoi que ce soit. Elle nous raconte un moment de vie (le temps d’une nuit) où deux êtres vont prendre une décision irrévocable. Ce qui est intéressant, parce que cela récuse toute idée d’un jugement de valeur, c’est que Tom aime Kyra et que Kyra aime Tom, et que c’est justement la question de leur choix de vie qui remet en cause leur histoire d’amour. L’antagonisme sur le sens de leur existence qui les divise s’inscrit dans l’intimité de leur relation. C’est ce que montre très bien la mise en scène de Claudia Stavisky. A priori, leur couple est un cliché. Elle est plus jeune que lui. D’origine modeste, il a « réussi » ; c’est désormais un homme riche ; sa chaîne de restaurants vient d’être cotée en bourse. D’origine « bourgeoise », elle enseigne les maths, avec passion, dans une banlieue populaire à des enfants issus de familles pauvres. Son credo : aider des enfants «qui ont besoin d’être aidés», lutter contre les injustices sociales. Tout les oppose. Malgré tout, un sentiment très fort les unit encore. Le désir, aussi. Et puis, des souvenirs…
Ils se sont rencontrés quand Kyra était étudiante et qu’elle s’occupait d’Edward (Sacha Ribeiro), le fils de Tom. Bref, une simple histoire d’adultère qui aurait pu durer si Alice, la compagne de Tom, n’avait tout découvert. Kyra est partie immédiatement. Tom n’a rien compris. Depuis, Alice est décédée d’un cancer. Tom et Edward se sont retrouvés seuls, tous les deux. Et, ce n’est pas si simple. Un soir, Tom débarque chez Kyra, dans son petit appartement minable, vrai foutoir, dans un quartier excentré. Barbara Kraft a imaginé une scénographie simple et réaliste. Le débat d’idées qu’il y a derrière la querelle d’amoureux s’inscrit dans un contexte concret, tangible. Kyra cuisine réellement. À travers les vitres, Tom regarde la neige tomber.
Au cours de cette longue nuit qu’ils passeront ensemble, Tom et Kyra vont se parler VRAIMENT, sans doute pour la première fois. Ils vont même beaucoup parler. Alice n’est plus là. Mais, ils ne cessent de l’évoquer. Elle a compté, elle compte toujours pour l’un et pour l’autre. Tout comme Edward, avec qui Tom a une relation compliquée tandis que Kyra garde avec lui un lien complice, affectueux. D’ailleurs, David Hare ouvre sa pièce par les retrouvailles entre Kyra et Edward, et sa toute dernière scène, c’est Edward qui, le lendemain matin de cette longue nuit, apportera à Kyra un petit déjeuner de rêve.
Durant cette nuit, Tom et Kyra vont également beaucoup se disputer comme deux amoureux qui pressentent que plus rien ne pourra être comme avant mais aussi au sens philosophique du terme, s’opposant argument contre argument. À égalité. Ils s’expliquent sans tricher et, tout en discutant, s’aiment pour mieux se déchirer. Parfois, avec violence. Agacée par les propos de Tom, Kyra lui lancera le plat de spaghettis à la figure. Dans un geste de colère, Tom jettera à terre les cahiers des élèves de Kyra. Cela ne les empêchera pas de faire l’amour. Mais, in fine, tous deux ont compris que le fossé qui les sépare est désormais infranchissable.
Dans ce duel amoureux, sans issue, Marie Vialle et Patrick Catalifo sont excellents. C’est un très bon choix de distribution. Comme leurs personnages, ils sont aussi « sympathiques » l’un que l’autre. Car, encore une fois, il ne s’agit pas ici de dire ce qui est bien ou pas, mais comment, à un moment de sa vie, on doit faire un choix crucial. La pièce de David Hare est prenante. Elle est, à la fois, profonde et drôle. On rit même s’il y est question de la fin de l’amour ou d’événements graves comme la maladie d’Alice.
Skylight de David Hare, texte français de Dominique Hollier, mise en scène de Claudia Stavisky.
Aux Célestins, théâtre de Lyon du 15 septembre au 3 octobre 2021 ; Théâtre du Rond-Point à Paris, du 11 au 29 mai 2022.