© Jean-Louis Fernandez : Donnez-moi une raison de vous croire, par le Groupe 46 de l’École du TNS, mise en scène de Mathieu Bauer
Au TNS, l’envol du Groupe 46
Par Chantal Boiron
Donnez-moi une raison de vous croire, c’est le titre du spectacle que Mathieu Bauer a imaginé pour les jeunes artistes issus du Groupe 46 de l’École du TNS, à partir d’un texte de Manon Stenton, écrivaine et dramaturge.
C’est un travail collectif qui rassemble Carla Audebaud, Yann Del Puppo, Quentin Ehret, Kadir Ersoy, Gulliver Hecq, Simon Jacquard, Émilie Lehuraux, Aurore Lévy, Pauline Vallé, Cindy Vincent, Sefa Yeboah pour le jeu ; Antoine Hespel et Timothée Israël pour la mise en scène et donc la jeune autrice et dramaturge, Manon Stenton. Citons encore Clara Hubert, Ninon Le Chevalier et Dimitri Lenin pour la scénographie et les costumes ; Zoé Robert et Thomas Cany pour les lumières ; Foucault de Malet et Margault Willkomm pour le son ; Clara Hubert et Jessica Maneveau. Toutes et tous avaient intégré l’École du TNS en octobre 2019, et ont obtenu leur diplôme en juillet 2022. Les plus jeunes ont tout juste 22 ans. Les plus âgé(e)s, vingt-sept ans. Une promotion d’élèves, c’est toujours le reflet d’une génération. On notera que les filles sont très présentes parmi les techniciens, ce qui prouve que, dans ce domaine-là aussi, les choses évoluent.
Au point de départ du texte de Marion Stenton, il y a le dernier chapitre du roman de Kafka, L’Amérique. Ce premier roman de l’écrivain pragois, laissé inachevé, est un roman d’initiation. Le héros, Karl Rossmann, est un jeune émigré de dix-sept ans qui a fui sa patrie et se retrouve aux États-Unis.
La situation imaginée par Marion Stenton est celle de jeunes gens à la recherche d’un emploi, comme Karl, et qui rêvent de réaliser leur rêve : devenir des artistes. Or, justement, le Grand théâtre d’Oklahoma embauche le temps d’une journée, de 6 heures du matin à minuit. Ensuite, dit-on, ce sera trop tard. Pour attirer les candidats, on a affiché un slogan : « Rêvez-vous de devenir artiste ? Notre théâtre emploie tout le monde et met chacun à sa place ». Nos jeunes acteurs comptent bien y trouver leur place. Ils sont accueillis par une guide qui leur fait visiter le Grand théâtre avec son dédale de bureaux où l’on finit par se perdre. `
Choisir cette œuvre de Kafka est pertinent puisqu’il s’agit de jeunes gens qui vont quitter le cocon confortable de leur école pour affronter le monde du travail, où chacun devra se battre pour « trouver sa place », pour se faire engager dans des théâtres et pour cela convaincre des directeurs et des metteurs en scène de faire appel à eux : leur donner « une raison de les croire ».
Donnez-moi une raison de vous croire est un spectacle musical, ce qu’il n’a rien de surprenant avec Mathieu Bauer et, cette fois encore, il est accompagné par son complice de toujours Sylvain Cartigny. Et c’est un travail choral : un acteur peut jouer plusieurs personnages ou, bien au contraire, le même personnage peut être joué par plusieurs acteurs. On veut absolument devenir acteur. Ou bien, on est portier. Ou bien, membre du théâtre, l’un ou l’autre qui choisit ou décide. Il y a ceux qui arrivent avec leur dossier qui, en fin de compte, sera perdu. Les situations sont souvent burlesques, absurdes. Parfois plus tragiques. Il y a des personnages naïfs, un peu décalés, appartenant au monde du rêve. Et, il y a celui qui a des idées suicidaires. Il y a un peu de l’histoire de Karl chez chacun d’eux. Sous le regard du chorégraphe Thierry Thieû Niang, le jeu des acteurs est physique, rapide, fluide.
La scénographie, conçue par les élèves du groupe, pourrait évoquer le décor d’un vieux music-hall américain. Chaque espace est bien délimité : l’orchestre, les fauteuils rouges, les bureaux… Certaines images sont très belles comme ces pelletées de neige que soulève le portier quand il fait entrer les gens.
Dans ce travail choral, il n’est pas facile de percevoir le talent individuel de chacun. Et ce n’est pas le propos puisqu’il s’agit d’un spectacle d’école. Ce que l’on retiendra, c’est leur énergie, leur capacité à toutes et à tous de faire partie d’un groupe, de jouer dans des registres très différents, de savoir chanter et danser, jouer de la musique et faire des tours de magie. On a un vrai collectif, homogène et pluridisciplinaire. Et ça, c’est une promesse pour leur avenir.
Le spectacle s’est joué du 23 septembre au 1er octobre 2022, salle Gignoux.