© Fondation de Royaumont : Chant de la terre – Pour Mahler, Gustav Mahler – Joce Mienniel – Olivier Cadiot (Festival de Royaumont 2024)
La Fondation de Royaumont a 60 ans…
Par Chantal Boiron
Abritée dans un monastère cistercien, la Fondation de Royaumont (Goüin-Lang) pour le progrès des Sciences de l’Homme célèbre, cette année, ses soixante ans. Construite au XIIIème siècle au milieu des bois et des marais, sous l’égide de Saint-Louis qui en fit son lieu de retraite privilégié, l’abbaye est devenue au début du XXème siècle la propriété familiale de Jules Goüin, un grand industriel et un humaniste. Son petit-fils, Henry et son épouse, Isabel Lang, tous deux mélomanes, s’attacheront à la restaurer et en feront un lieu ouvert aux artistes et aux intellectuels (philosophes, sociologues, historiens…). Ils y organisent des concerts, des rencontres. Parmi leurs visiteurs : Nathalie Sarraute, Claude Simon, Michel Butor, Jacques Lacan Roland Barthes, Edgar Morin, Claude Lévi-Strauss, Jacques Monod, Jean Piaget et Noam Chomsky et bien d’autres.
Henry et Isabel Goüin créeront la Fondation de Royaumont en 1964. Par la suite, ils lui lègueront leur abbaye. Royaumont est ainsi la première fondation privée à vocation culturelle en France. Francis Maréchal en devient le directeur dès 1977. Et le restera jusqu’à la fin de cette année. La Fondation de Royaumont est membre de l’Association des Centres culturels de rencontre en France et en Europe (ACCR).
Depuis soixante ans, la Fondation de Royaumont accueille des résidences artistiques, organise des rencontres pluridisciplinaires, produit ou co-produit des créations musicales (commandes à Georges Aperghis, par exemple) et chorégraphiques. Avec ses cloîtres et ses bibliothèques, le lieu est propice à la recherche et à la réflexion. C’est aussi un lieu de vie avec ses jardins à la française, son potager.
Ancré dans son passé historique, Royaumont symbolise néanmoins la modernité et l’éclectisme. Et cela, depuis toujours. Il y eut, à l’abbaye, un concert de Pink Floyd en juin 1971. Royaumont, c’est aussi le renouveau de la musique baroque avec William Christie et les Arts Florissants. À l’instigation de Francis Maréchal, c’est encore l’ouverture à la poésie contemporaine et le soutien de la jeune création. La chorégraphie a pris une place de plus en plus importante avec Hervé Robbe, qui a été nommé directeur artistique du PRCC de Royaumont. Lui aussi favorise l’expérimentation et l’émergence de nouveaux talents avec le dispositif Prototype. Différentes générations s’y côtoient : Susan Buirge (en résidence à Royaumont depuis les années 2000) et Myriam Gourfink, par exemple…
La programmation du dernier festival (7 septembre – 6 octobre 2024) sous la direction de Francis Maréchal témoigne de cet éclectisme et de cette effervescence. Parmi les artistes invités, citons : François Chaignaud et Geoffroy Jourdain, Jocelyn Mienniel et Olivier Cadiot, Thomas Lebrun, Leïla Ka avec Maldonne (sa première chorégraphie de groupe), l’organiste Lucile Dollat, le claveciniste Francesco Corti, les Arts Florissants sous la direction de William Christie.
Le temps d’une journée passée à Royaumont, on aura pu entrevoir, dans le Réfectoire des Moines, quelques instants de répétition de In absentia de François Chaignaud et Geoffroy Jourdain (1). La création aura lieu le lendemain marquant à la fois l’ouverture du Festival de Royaumont et celle du Festival d’Automne. C’est un projet qu’ils portent depuis quatre ans avec des workshops espacés, à partir de tumulus, spectacle qui est né justement à Royaumont en août 2020. Pour François Chaignaud et Geoffrey Jourdain, In absentia n’est pas une adaptation de tumulus. Ils parlent plutôt d’une « bouture », « d’une extension d’une pratique en tenant compte de l’espace ». À Royaumont, le spectacle a été répété et s’est donné l’après-midi. La lumière du jour traversait les vitraux du Réfectoire des Moines, créant une ambiance particulière. Ce sont quarante minutes intenses, entre un « concert spirituel » et une performance polyphonique, au rythme de musiques sacrées de la Renaissance. Les treize chanteurs/performeurs forment un chœur, vocal et physique, au plus près des spectateurs. « Il ne faut pas que la musique soit désincarnée » a expliqué François Chaignaud.
© Fondation de Royaumont : Chant de la terre – Pour Mahler, Gustav Mahler – Joce Mienniel – Olivier Cadiot (Festival de Royaumont 2024)
En plein air, devant le mur sud qui vient tout juste d’être restauré, on a assisté, un peu plus tard dans l’après-midi, au début de la répétition générale du Chant de la terre – Pour Mahler : Joce Mienniel et Olivier Cadiot nous offrent leur propre relecture de la symphonie ultime de Gustav Mahler pour ténor et alto, Le Chant de la terre (Das Lied von der Erde), avec un chœur d’une vingtaine d’enfants. On procède encore aux derniers réglages, aux entrées et aux sorties des enfants. Olivier Cadiot a fait une nouvelle traduction des poèmes chinois dont s’était inspiré Gustav Mahler pour composer les six lieder. Dans son texte, on trouve encore des éléments extraits de la correspondance du compositeur, notamment, une lettre où il évoque la mort de Maria, sa fille aînée, des Psaumes de la Bible et d’un recueil de poèmes de Stéphane Mallarmé, Pour un tombeau d’Anatole, que le poète a écrit après la mort de son fils. Il y a des mots prononcés par le Récitant (Jean-Christophe Quenon) qui reviennent comme un leitmotiv douloureux : « Je prends congé de cet enfant adoré » ou encore : « Sombre est la vie… Sombre est la mort ». Un très beau moment qui, en cette fin d’après-midi ensoleillée, nous plongeait dans la tragédie de la perte d’un être cher.
Infos : www.royaumont.com
- In absentia de François Chaignaud et Geoffroy Jourdain : création le 8 septembre 2024 à la Fondation de Royaumont (Festival de Royaumont et Festival d’Automne.)
À Chaillot – Théâtre national de la danse, le 21 novembre 2024
- Chant de la terre – Pour Mahler, Gustav Mahler – Joce Mienniel – Olivier Cadiot : création le 8 septembre 2024 au Festival de Royaumont.
À la Philharmonie de Paris, le 15 septembre 2024
Pour Mahler d’Olivier Cadiot, postface de David Christoffel est paru chez POL Éditeurs