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Le théâtre de cœur de François Cervantès


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Christophe Raynaud de Lage : Le Cabaret des absents, texte et mise en scène de François Cervantès

 

 

Le théâtre de cœur de François Cervantès

 

Par Chantal Boiron

Le Cabaret des absents de François Cervantès, magnifique hymne d’amour au théâtre et à la ville de Marseille, pourrait être un conte qui tire son origine dans les histoires réelles et fabuleuses de gens très ordinaires. Un puzzle, fait d’images saisies sur le vif (un avion qui survole la mer, un chien qui court sur une plage, un vieillard qui s’est endormi dans le tramway, une femme en rouge qui remonte un boulevard etc.), fait d’instants de vie et d’émotion, qui se construit avec les mémoires d’une multitude de gens, des souvenirs du passé, de l’enfance, tristes ou joyeux. Parfois, en écoutant les comédiens, c’est un peu comme si l’on se frayait un chemin au milieu d’une foule, que l’on attrapait par-ci, par-là des mots, des bribes de conversations, que l’on était mitraillé par toutes sortes de visages.

C’est un poème choral et musical, « la tenue des corps du plateau faisant l’écho à la tenue des corps dans la grande ville » dit joliment François Cervantès.

Quand les rideaux du cabaret s’ouvrent, on commence avec l’histoire d’un danseur à plumes et de son ami d’enfance, et cette histoire nous touche. On enchaîne avec une autre histoire qui nous touche autant, celle d’un enfant qui attend son père dans un square ; son père, musicien, joueur de Guembri, revient avec un sachet de fraises Tagada mais l’enfant ne sait pas qu’il repartira, en urgence, le lendemain, pour la Kabylie et qu’il le laissera dans la grande ville. Et l’on enchaîne avec une troisième histoire, tout aussi belle, celle du théâtre où se produisent le danseur à plumes, le nain aux oiseaux ou Groucho le magicien, et les autres. Ce théâtre (bien entendu, il s’agit du Gymnase à Marseille), qui fut sauvé de la démolition, il y a des années, par un vieux milliardaire américain en souvenir de ses parents qui y trouvèrent refuge, un jour d’orage. Et, ainsi de suite. Une histoire en amenant d’autres, un peu comme dans Les Nuits de Shéhérazade. Mais ici, ce sont à la fois des histoires de vie, parfois heureuses, parfois cruelles, des histoires si simples et si mystérieuses, avec des gens qui disparaissent et réapparaissent comme dans la malle du magicien. Et, ce sont des scènes de théâtre, car ces histoires nous sont contées à travers les dialogues, les questions et les réponses que se lancent les comédiens.

À la fin, les pièces du puzzle se rassemblent. On découvre les liens, nés de hasards objectifs, qui unissent tous ces gens. Déjà, il y a une ville qui les rattache les uns aux autres pour des raisons très diverses, et c’est Marseille. À travers Marseille et son port où accostent des bateaux venus des quatre coins de la planète, François Cervantès a voulu parler de toutes les grandes métropoles où se produisent des rencontres incroyables entre des gens très différents : « On assiste à un métissage qui n’avait jamais eu lieu. Les grandes villes  sont des lieux d’invention de cultures. » L’autre lien, c’est bien entendu le théâtre : le Gymnase, sur la Canebière, devenant le symbole de tous les théâtres du monde.

François Cervantès et les comédiens de L’Entreprise avaient commencé à répéter Le Cabaret des absents dès la fin du premier confinement. Mais, d’autres confinements sont ensuite venus retarder la rencontre avec le public : « Il s’est établi un temps assez long de répétitions ». De ne pas pouvoir jouer devant des spectateurs, de voir le lien avec eux s’interrompre, se distendre durant des mois, a été une épreuve pour les acteurs de la compagnie : « C’est la pratique même de leur travail qui s’en allait. Au bout d’un moment, il y a quelque chose, qu’en ne pratiquant pas, qui se durcit, qui éloigne l’acteur de son métier. C’est douloureux. Ça se désagrège. Le fait d’être coupés à l’endroit même de nos liens, c’est très dur.»

Aujourd’hui alors que la pandémie semble ralentir, que les théâtres ont rouvert au public, que les festivals reprennent, l’espoir et l’envie de jouer sont de nouveau là : « Émotionnellement, on a vécu un choc et cela engendrera de nouvelles façons de faire du théâtre. Cette période va amener autre chose, des métamorphoses. Le théâtre  est un lieu profondément populaire. C’est un lieu de cœur. Et il y a aujourd’hui l’envie d’une nouvelle période ouverte aux gens, avec des choix esthétiques mais aussi avec des choix de cœur. Le Cabaret des absents est parti de ça, de l’infini amour que j’ai pour le théâtre et de la gratitude que je ressens lorsque je rencontre des gens qui me bouleversent. »

Dans son cabaret enchanté, où un souffle vient soulever, faire onduler les rideaux, François Cervantès réussit à restituer « l’émerveillement des différents moments de théâtre, que partagent des gens, venus d’endroits très différents et réunis par une émotion commune, l’émerveillement d’une communauté qui rêve de la réunion du verbe et du corps. »

Et, le temps d’un spectacle, il nous fait vivre la belle utopie d’un théâtre qui serait ouvert vingt quatre heures sur vingt quatre comme le rêvait Armand Hammer, le riche mécène américain qui, en 1986, empêcha la fermeture, et sans doute la disparition du Théâtre du Gymnase.

 

 

1) – Le texte  de François Cervantès est publié aux Éditions Les Solitaires Intempestifs.

Le spectacle a été créé en janvier 2021 au Théâtre du Gymnase, à Marseille,  en janvier 2021, lors de représentations professionnelles.

2) – Au théâtre 11. Avignon : du 7 au 29 juillet 2021 à 22h30 (Relâche les 12, 19 et 26 juillet)

3) – Tournée : Théâtre du Gymnase à Marseille : du 23 au 30/09/2021 ; Le Domaine d’O, à Montpellier : les 5 et 6 octobre 2021 ; Le Cratère à Alès : le 12 octobre 2021 ; La Liberté à Toulon : le 15 octobre 2021 ; Friche La Belle de Mai à Marseille : du 14 janvier au 4 février 2022.

 

 

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