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Publications

Parages/01

La Revue du Théâtre National de Strasbourg (TNS)

Il est toujours émouvant de parler du premier numéro d’une revue quand on connaît la vie fragile, éphémère des revues, et en particulier des revues de théâtre. Nommé à la tête du Théâtre national de Strasbourg, Stanislas Nordey a voulu, comme Stéphane Braunschweig l’avait fait avant lui avec OutreScène, créer une revue de théâtre. C’est même l’un de ses premiers gestes en tant que directeur du TNS, juste après avoir constitué son équipe, formée de metteurs en scène, de comédiens mais aussi d’auteurs, tous associés à la programmation et à la vie du théâtre.

Stanislas Nordey souhaitait « une revue qui soit animée et dirigée par des auteurs », dans l’esprit de ce qu’ont été Les Cahiers de Prospero, la revue de la Chartreuse d’Avignon, sous la direction de Daniel Girard et de Françoise Villaume. Il souhaitait qu’elle soit « un lieu de réflexion et de pensée sur la vie théâtrale » et qu’elle en constitue « une trace ». Parages est un très bel objet. Frédéric Vossier en est le rédacteur en chef. Comme le laisse entendre un dialogue entre Stanislas Nordey et Frédéric Vossier, la revue veut avoir une ligne éditoriale affirmée sans thématique imposée. Chaque auteur peut écrire en toute liberté sur ce qui l’intéresse. C’est ce qui fait d’ailleurs la singularité et la force de la revue.

Ainsi, ce premier numéro s’ouvre avec l’hommage de Laurent Gaudé à son ami Emmanuel Darley, décédé en janvier dernier : « Nous nous connaissions depuis vingt ans. Nous avons souvent écrit côte à côte » écrit Laurent Gaudé. Ainsi Claudine Galea a-t-elle souhaité s’entretenir avec la créatrice lumière Marie-Christine Soma. Toutes deux se sont connues à la fin des années 70, au lycée Thiers de Marseille où l’une était en khâgne et l’autre, en hypokhâgne. Il s’ensuit, entre les deux artistes un long et magnifique dialogue où elles évoquent leurs parcours biographiques et artistiques (écrire, éclairer, mettre en scène : « Il y a un chemin qui conduit directement du texte à la lumière, et de la lumière au plateau, à la mise en scène… ») : « Nous sommes très lentes toi et moi I » constate Marie-Christine Soma : « Mais peut-être allons-nous lentement vers ce que nous avions à peine oser rêver dans la très grande jeunesse… » .

Vouloir faire une revue d’auteurs n’interdit pas que l’on s’ouvre à d’autres regards comme celui de Joëlle Gayot qui nous fait partager certaines des belles rencontres qu’elle a pu vivre avec des dramaturges pour son émission Une saison au théâtre, sur France Culture: « Les auteurs de théâtre parlent de leur écriture en artisan, en ouvrier, en boucher, en boulanger. Ce sens aigu de l’artisanat, de l’ouvrage à ourler, du pain à cuire, de la viande à couper fait d’eux des poètes de la parole orale ».

La revue se referme sur un autre moment d’émotion : une correspondance entre Didier-Georges Gabily et Jean-Luc Lagarce, deux auteurs qui se sont envoyé leurs textes et qui ont échangé en toute confiance sur la difficulté à les faire monter, sur l’indifférence des producteurs et autres « diffuseurs publics » : « (…) Mais au bout du compte, le désespoir ne m’atteint pas. Il y a de bonnes autres raisons, la page en effet, le silence, mais pas les imbéciles lénifiants. Non », répond Jean-Luc Lagarce à Didier-Georges Gabily.

La parution de Parages n’est pas impérativement fixée : il y aura fort probablement deux numéros par an, avec des numéros spéciaux consacrés aux auteurs associés du TNS. Le numéro 2 est annoncé pour avril 2017. Ajoutons que la revue est diffusée et distribuée par les Solitaires Intempestifs.

C.B.

Parages 01, TNS/Solitaires Intempestifs 15€.

 

Écrire le bruit du monde

Actes du Colloque des Écrivains associés du théâtre (eat)

Paris, 7 et 8 avril 2014

Qu’est-ce qu’écrire pour le théâtre ? Qu’est-ce qui fait la « spécificité » de cette activité, de ce genre littéraire ?

Les Éditions L’Œil du souffleur publient les actes du colloque Écrire le bruit du monde, qui a été organisé autour de cette problématique par les Écrivains associés du théâtre (eat), les 7 et 8 avril 2014, en partenariat avec la SACD, l’Institut d’études théâtrales Sorbonne Nouvelle – Paris 3, le Théâtre 13/Seine, l’ESAD et la mairie de Paris.

Une vingtaine d’auteurs de théâtre, plusieurs éditeurs y ont participé, en intervenant lors des quatre tables rondes, ou bien grâce à des entretiens filmés. Parmi eux : Michel Azama, Pierre Banos, Emmanuel Darley, Joseph Danan, Gerty Dambury, Louise Doutreligne, Carole Fréchette, Koffi Kwahulé, Dominique Paquet, Françoise Pillet (vidéo), Valère Novarina (vidéo), Karin Serres, Sabine Tamisier, Carole Thibaut… Les quatre tables rondes étaient intitulées : « Tapage des images », « Échos du silence », « Résonances du plateau », « Bruits de la langue » et, enfin, « La question de la transmission ». Les étudiants de l’ESAD ont lu des extraits d’une pièce de chaque auteur.

Le grand intérêt de ce colloque, c’est que chaque intervenant est parti de sa propre expérience, évoquant parfois des moments de vie, relatant des souvenirs personnels, analysant son approche de l’écriture, ce qu’est l’acte d’écrire pour lui, de manière concrète et directe. On est toujours resté dans le vif du sujet,

L‘écriture étant un acte solitaire (Blanchot parle de «solitude essentielle»), on entre donc, sans effraction, dans l’intimité, dans le secret du travail (ou « non travail ») de celui qui écrit : Qu’est-ce qui déclenche l’écriture théâtrale ? Qu’est-ce qui est à l’origine du besoin de créer des personnages, de tracer des mots, des dialogues sur une page ? Il s’agissait aussi de comprendre le paradoxe qui est propre au dramaturge : si l’écriture est par essence un acte solitaire, si l’on a besoin du silence pour écrire, le théâtre est par essence un geste collectif, et il nécessite le langage. Le texte dramatique n’existe que par l’épreuve du plateau, que par le jeu et la parole des comédiens, que dans le partage avec le public. Alors comment, par exemple, « écrire le silence » au théâtre ? « … C’est ça qui m’intéresse fondamentalement : faire entendre l’empêchement de la parole », dira Carole Thibaut à propos du personnage principal de sa pièce Été. Il y a, sur cette question, le très beau témoignage d’Emmanuel Darley, évoquant des souvenirs intimes : « … Ecrire pour moi, d’où ça vient, c’est parce qu’en fait, je ne savais pas parler. Depuis, j’ai fait quelques progrès, mais quand j’ai commencé à écrire, c’était vraiment pour ça. Je voulais aller contre la parole, contre cette chose que je ne savais pas faire, qui me paralysait. Il y a quelques années, j’aurais bafouillé devant vous. C’est un peu la raison pour laquelle j’ai voulu écrire, c’est venu naturellement, sans y réfléchir aussi précisément qu’aujourd’hui (…). (…) Donc le silence, c’est une chose qui n’est pas essentielle mais vraiment très importante dans ce que j’écris. Ce qui m’intéresse, ce sont les gens qui ne parlent pas, qui n’ont pas la possibilité de parler, qui n’ont pas les mots pour le dire. »

Comme l’indique le titre du colloque, il a aussi été question du rapport au monde de l’auteur dramatique, de son regard sur ce qui se passe autour de lui, de « l’encrage du théâtre dans le réel, en particulier, historique et politique ». Pour citer Louise Doutreligne : Comment « réfléchir le monde au travers des œuvres dramatiques » ? En se demandant :« De quelle façon s’intéresse-t-on au monde ? À quel monde s’intéresse-t-on ? », Gerty Dambury s’interrogeait sur le « non regard » de l’écrivain, sur ce qui « pourrait être un silence ». Des interrogations, des réflexions qui nous renvoient forcément aussi à la question de sa responsabilité, de son rôle dans la cité.

Ces rencontres se sont achevées par la question de la transmission, ce qui pourrait paraitre là encore paradoxal : qu’est-ce qu’un écrivain de théâtre déjà confirmé, jouissant d’une certaine reconnaissance, peut-il bien transmettre à un jeune auteur qui débute ?  Et, comment ? Michel Azama qui avait proposé cette thématique l’a lui-même reconnu : « L’écriture ne s’apprend pas ». Ainsi que l’a fait remarquer Dominique Paquet au début de la rencontre, la transmission ne peut se poser « qu’en termes d’apprentissage, de dispositifs, de pratiques pédagogiques, d’ateliers ». Sabine Tamisier a expliqué qu’Enzo Cormann, dont elle a suivi le cursus d’Ècriture Dramaturgique à l’Ensatt, disait aux étudiants : « Nous n’allons pas vous apprendre à écrire, nous allons juste vous accompagner ».

C.B.

Écrire le bruit du monde, Préface de Dominique Paquet – Editions L’Œil du souffleur 2016, 24€

Ecrire le bruit du monde

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