© Christophe Péan : Congo Jazz band de Mohamed Kacimi, mise en scène et scénographie de Hassane Kassi Kouyaté, créé au Festival Les Zébrures d’automne 2020, à Limoges.
Congo Jazz band
Par Chantal Boiron
Hassane Kassi Kouyaté vient de prendre la direction des Francophonies de Limoges. Il faudra attendre 2021 pour découvrir la première édition du Festival Les Zébrures d’automne qu’il aura entièrement programmée mais celle de 2020 nous informe déjà sur les orientations qu’il va choisir. Un festival confronté aux réalités du monde d’aujourd’hui et qui prend en compte des pages de notre histoire pour faire le lien entre le présent et l’avenir, car « c’est du passé que jaillit le futur ». Pour exemple, le spectacle d’ouverture : Congo Jazz Band (1), une pièce qu’il a commandée à Mohamed Kacimi et dont il signe la mise en scène et la scénographie.
Raconter sur scène tout un pan de l’histoire du Congo, depuis Léopold II, Roi des Belges au XIX ème siècle, jusqu’à l’assassinat de Patrice Lumumba en 1961, raconter les exactions et les atrocités de la colonisation, c’était une gageure. En faire un spectacle à la fois musical et théâtral en était une autre. Double pari magnifiquement réussi pour Mohammed Kacimi et Hassane Kassi Kouyaté. Avec Congo Jazz Band, ils réalisent un grand spectacle, où la musique et les mots se rejoignent. Et qui prend tout son sens, aujourd’hui, avec le mouvement Black Lives Matter.
Au centre de l’écriture de Mohamed Kacimi et de la mise en scène de Hassane Kassi Kassi Kouyaté, il y a l’idée de jeu. D’abord, parce que l’on joue à jouer. Les interprètes, à la fois musiciens, chanteurs et comédiens, font partie d’une troupe de retour de Kinshasa et, pour nous la raconter, ils vont jouer les protagonistes de cette longue page d’histoire qui va de la colonisation du Congo à son indépendance : le Roi Léopold II, la Reine Marie-Henriette, l’explorateur Henry Stanley, Patrice Lumumba… ou encore une envoyée spéciale de BFM qui fait un reportage et interviewe à chaud ces personnalités. Ce mélange des époques est d’ailleurs une autre forme de jeu. Tout cela contribue à créer une distanciation, une forme d’ironie, renforcée par la présence d’un narrateur qui raconte et explique les événements: c’est celui qui met en jeu ou qui introduit le jeu… Ce qui fait que tout devient clair pour le spectateur même si celui-ci ne connaît pas bien l’histoire de l’Afrique. Et, que tout devient tangible, actuel. Désormais, cette histoire nous concerne nous aussi.
Ce sont plus de cent années d’histoire du Congo qui sont évoquées mais, dans l’enchaînement des séquences, ça va vite… Ça va même très vite. Il y a l’écriture de Mohamed Kacimi ; il y a la mise en scène de Hassane Kassi Kouyaté qui privilégie le jeu, les voix et la musique. Pas de décor, juste quelques panneaux où sont projetées des images évoquant les lieux et l’époque, et quelques accessoires symboliques. Et puis, il y a le talent des interprètes qu’il faut tous citer : Alvie Bitemo (extraordinaire), Dominique Larose, Miss Nath, Abdon Fortuné Koumbha, Marcel Mankita, Criss Niangouna. Avec un rythme incroyable, en restant sur ce mode ironique et distancié dont nous parlions à l’instant, ils nous font vivre des moments terribles, trop peu connus et qui pourtant appartiennent à la mémoire collective.
Encore aujourd’hui, les questions restent sans réponse. Comment, en effet, un territoire de cette immensité (2,5 millions de km2!) a-t-il pu être « colonisé », devenir à la fin du XIXe siècle, au début de l’ère industrielle, « la propriété privée d’un roi », et avec la bénédiction des autres puissances lors de la conférence de Berlin en 1885 qui acta le partage de l’Afrique entre les principaux États européens ? Quand on écoute les échanges entre Léopold II et l’explorateur Stanley, on reste stupéfaits par tant de cynisme. Faut-il parler de la folie mégalomane d’un homme de pouvoir, obsédé par l’idée d’avoir une colonie ? Ce spectacle nous confronte à la cruauté du système colonial que le Roi des Belges met en place pour sa propre jouissance personnelle, à la barbarie de l’exploitation du caoutchouc et de l’ivoire. Pourtant opposé à la peine de mort (c’est vrai !), Léopold II fera du Congo la terre des « mains coupées », et il aura des millions de morts sur la conscience. La réalité historique dépasse la fiction. Et tout cela, encore une fois, se dit uniquement par le récit et la musique. Alors que nous sommes dans la tragédie, pas de doléances, ni de revendications, ni de scènes violentes. Reprises par les chœurs, les chansons (Ils ont partagé le monde, plus rien ne m’étonne ou Cha Cha Cha l’Indépendance etc.) sont des tubes que l’on a tous envie de fredonner.
La fable théâtrale, mais bien réelle, de Mohamed Kacimi et de Hassane Kouyaté sur la colonisation africaine s’achève avec l’assassinat de Patrice Lumumba. Même si l’humour est encore là (c’est Lumumba, devenu à son tour personnage, ombre de théâtre, qui parle de son corps que l’on a dissous dans l’acide pour faire disparaître toute trace de lui), le ton devient plus grave. On a basculé dans un autre registre. Les interprètes sont descendus de l’estrade où ils avaient leurs instruments et, sur le plateau, ils entourent le premier « héros national » congolais. Avec le combat de Patrice Lumumba pour l’indépendance de son pays, une nouvelle page s’ouvrait pour le Congo.
1) – Créé au Festival les Zébrures d’automne – Limoges du 24 au 26 septembre 2020. Tournée : Tropiques Atrium, Fort de France (Martinique) du 5 au 20 octobre ; Les Recréâtrales – Ouagadougou, Burkina Faso (20 octobre au 3 novembre) ; Passage(s) – Metz : 12 décembre ; Le Manège, Maubeuge : 7 janvier 2021