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Cadences 2024 : un hymne à la vie

© DxO: Émilie Leriche et Martin Harriague avec l’Ensemble 0 dans Crocodile de Martin Harriague

Cadences 2024 : un hymne à la vie

Chantal Boiron

Créé à Arcachon en 2002, le festival Cadences, sous la direction de Benoît Dissaux, rayonne aujourd’hui jusqu’à Bordeaux. Cela grâce à des conventions de partenariat qui ont été passées avec les autres villes du Bassin d’Arcachon et qui permettent de créer une synergie, de démultiplier et de diversifier le public, d’assurer la grande qualité des spectacles programmés. Ainsi MAGNIFIQUES de Michel Kelemenis a ouvert la deuxième saison culturelle du Miroir, la nouvelle salle de Gujan-Mestras. Notons que le Miroir compte déjà 640 abonnés au bout de sa 2ème saison culturelle sur 674 places. Si les Arcachonnais sont allés à Biganos pour voir Le Sacre de Stravinsky chorégraphié par Blanca Li, les abonnés de Gujan-Mestras et de Bordeaux sont venus au Théâtre Olympia d’Arcachon pour découvrir Tanzmainz de Tânia Carvalho. 

Le festival Cadences a désormais une dimension nationale, voire internationale : pour preuve les grandes soirées de l’édition 2024 (17-22 septembre) qui ont attiré des chorégraphes tels que Mourad Merzouki et Blanca Li… Néanmoins, cela reste d’abord un lieu de découvertes chorégraphiques avec le Théâtre de la Mer et un foyer de transmission en accueillant les nombreuses écoles de danse de la région qui se produisent dans divers endroits de la ville. 

Durant cinq jours, on assiste à Arcachon à une véritable effervescence autour de la danse. 

Blanca Li, la nouvelle Présidente du parc et de la Grande halle de la Villette, a présenté deux spectacles à Cadences : Le Sacre de Stravinsky et Didon et Énée de Henry Purcell que l’on pourra revoir à la Villette dans sa version longue (1). Dans l’extrait que nous avons vu au Bouscat, avec juste deux danseurs et deux danseuses, la chorégraphe privilégie les émotions, la sensualité. On retiendra la fluidité et l’inventivité de la chorégraphie, la puissance et le brio des quatre interprètes : Alizee Duvernois, Cameron Fructuoso, Mélissa Cosseta, Julien Marie-Anne. Cela donne envie de voir, ou de revoir, Didon et Énée dans son entièreté.

Avec sa compagnie, Bianca Li a revisité à son tour (après Maurice, Béjart, Pina Bausch, Angelin Preljocaj et tant d’autres), Le Sacre du printemps, la chorégraphie culte de Nijinski sur la musique d’Igor Stravinsky. Avec David Grimal à la direction musicale et le poète Abd Al Malik pour le récit, Bianca Li en avait déjà présenté une autre version, Notre Sacre, entre poésie, danse et musique, sur la scène de la Philharmonie de Paris, au printemps dernier, dans le cadre de l’Olympiade culturelle. Au Bouscat, on a assisté à une version plus courte pour six des dix-huit interprètes initiaux. Et, la musique de Stravinsky, dirigée par David Grimal, était enregistrée. Il y a une facilité déroutante chez Bianca Li à s’adapter aux différentes scènes, aux théâtres qui accueillent ses spectacles. Au départ, les six interprètes sont assis sur des chaises, face au public. Ils portent un pantalon blanc et un sweat-shirt à capuche qui cache leur visage. Sur leurs chaises, tous les six vont reproduire exactement les mêmes gestes, les mêmes mouvements avec leurs bras, leurs mains, leurs pieds et leurs jambes. Dès l’instant où il se lèvent et s’élancent sur le plateau, plus rien n’est à l’identique. Ils se sont débarrassés de leurs sweat-shirts. Et alors, c’est comme une libération des corps. Les danseurs ont le crâne rasé. Au contraire, les danseuses jouent avec leurs longues chevelures. Là encore, il faut parler de sensualité, d’érotisme. À des moments de paroxysme, de lutte âpre entre les protagonistes succèdent d’autres moments plus apaisés. Plus rares, il est vrai. Il y a quelque chose de fiévreux, de débridé, d’endiablé dans cette transe païenne collective à laquelle nous assistons. On ressent aussi comme un instinct de vie très fort. Et, on est éblouis par la virtuosité des six danseurs : Cameron Fructuoso, Mélissa Cosseta, Julien Marie-Anne, Coralie Murgia, Emma Guillet, Lilas Bordron.

© Jean Barak : MAGNIFIQUES, une éphémère éternité de Michel Kelemenis

Autre moment très fort de cette édition 2024 : MAGNIFIQUES, une éphémère éternité de Michel Kelemenis sur la musique d’Angelos Liaros Copola qui dialogue avec Le Magnificat de Jean-Sébastien Bach (2). Dans un cercle de lumière, surgi de la pénombre, une dizaine de danseurs et danseuses, très jeunes, nous disent leur passion de la danse et de la vie.  C’est pour eux que Michel Kelemenis a créé cette œuvre chorale : Gaël Alamargot, Max Gomard, Aurore Indaburu, Claire Indaburu, Anthony La Rosa, Hannah Le Mesle, Marie Pastorelli, Anthony Roques, Mattéo Trutat.  Certes, il y a entre eux des solos, des duos, mais ce sont surtout des rondes sensuelles, des figures de groupe avec, parfois, quelque chose de mystique. Au début, il y a un moment où ils nous semblent désemparés. L’un après l’autre, ils s’allongent sur le sol. On pense à la mort. Mais, l’un d’entre eux se relève et aide un autre à se relever… Et ainsi de suite. Ils se touchent. Puis reprennent leur danse.  Ils ont échangé leurs vêtements noirs contre d’autres beaucoup plus colorés :  une robe rouge, une chemise verte… Des cercles lumineux s’allument et s’éteignent, comme des tableaux. La couleur, l’insouciance contrastent avec la sévérité, la gravité du début. La danse se fait plus fantaisiste, plus libre, plus joyeuse. La fin est éclatante. La lumière, la vie ont gagné sur les forces obscures. 

© DxO: Émilie Leriche et Martin Harriague dans Crocodile de Martin Harriague

Nous le disions, « Cadences », c’est aussi et peut-être avant tout le Théâtre de la mer à Arcachon C’est-à-dire une scène posée sur le sable avec voir des gradins pour le public. Tout en regardant une chorégraphie, on peut voir des voiliers régater au large. Ou voir, près de la jetée Thiers, la queue de la baleine qui, poussée par le vent, tournoie sur elle-même, au gré des vagues. Des gens se sont installés sur la plage, attirés par les spectacles. Au Théâtre de la Mer, les propositions s’enchaînent : des préludes très courts alternent avec des spectacles plus longs. Nous retiendrons Crocodile de Martin Harriague, qui vient d’être nommé directeur de la danse de l’Opéra Grand Avignon. Dans un cercle qu’ils ont dessiné avec du varech, face à la mer, un couple (Émilie Leriche et Martin Harriague) se jaugent et s’apprivoisent dans un duo entre amour et désamour, entre attirance et rejet, entre violence et tendresse, au rythme des xylophones (des marimbas) de Stéphane Garin et Julien Garon, les deux musiciens de l’Ensemble 0.  C’est un son répétitif et léger, lancinant et hypnotique. Et une danse à la fois abstraite et concrète, avec une symétrie précise entre les deux corps. Les mouvements, les gestes des deux interprètes sont déconstruits, presque mécaniques comme ceux de deux marionnettes ou de deux robots. Pourtant, l’émotion affleure à chaque instant. Cette danse, intense et envoûtante, s’achève dans la douceur avec la main du danseur qui s’empare (enfin !) de celle de la danseuse. Deux mains qui se sont si longtemps cherchées, se sont frôlées, se sont écartées, puis se sont retrouvées et qui se prennent.

Festival Cadences (17 – 22 septembre 2024)

  • Didon et Énée, d’après Purcell au Parc de la Villette, Espace Chapiteaux. Avec Chaillot – Théâtre national de la Danse (17/10/2024 – 31/10/2024)
  • MAGNIFIQUES – Une éphémère éternité par la Compagnie Michel Kelemenis : au Théâtre la Colonne (Miramas) le 8 octobre 2024 ; au Grrranit – Scène nationale de Belfort le 12 janvier 2025 ; au Théâtre Alexandre Dumas (Saint Germain-en-Laye) le 09 février 2025…

 

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