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Au Vieux-Colombier : à la recherche d’un couple légendaire…

© Christophe Raynaud de Lage : CONTRE d’après la vie et l’œuvre de John Cassavetes et Gena Rowlands avec la troupe de la Comédie-Française

Au Vieux-Colombier : à la recherche d’un couple légendaire…

Par Chantal Boiron

Constance Meyer, Agathe Peyrard et Sébastien Pouderoux se sont mis à trois pour concevoir CONTRE, d’après la vie et l’œuvre de John Cassavetes et de Gena Rowlands. Le résultat est passionnant. Ils ont écrit, construit, comme un scénario de film, le double portrait de ce couple légendaire du cinéma américain ; couple artistique et couple dans la vie, leurs noms sont à jamais indissociables. John Cassavetes est devenu la figure de proue du cinéma indépendant américain dès son premier film, Shadows.  Pourtant, insatisfait, il en fera une seconde version. Gena Rowlands, immense comédienne qui nous a quittés le 14 août dernier, fut sa complice et sa muse. Cassavetes lui a offert ses plus beaux rôles:  Mabel dans Une femme sous influence », Myrtle Gordon dans Opening Night, Gloria Swenson dans Gloria etc. Gena Rowlands les a magnifiés.

© Christophe Raynaud de Lage : CONTRE d’après la vie et l’œuvre de John Cassavetes et Gena Rowlands avec la troupe de la Comédie-Française

Le spectacle, mis en scène par Constance Meyer et Sébastien Pouderoux, se présente comme une balade jubilatoire, un peu ‘foutraque’ et pleine d’humour sur ce couple mythique mais aussi comme une sorte d’enquête autour du cinéaste qui fut à la fois charismatique et caractériel, talentueux et un alcolo violent et un arnaqueur manipulateur. Aux côtés de Sébastien Pouderoux qui incarne John Cassavetes, on a une troupe de comédiens où se mélangent acteurs connus, reconnus et débutants de l’Académie de de la Comédie-Française : Dominique Blanc, Marina Hands, Nicolas Chupin, Jourdan Rezgui, Rachel Collignon, Blanche Sottou et Antoine Prud’homme de la Boussinière. Chacun d’eux interprète plusieurs personnages, passant d’un rôle à l’autre avec une totale liberté. Ainsi, Marina Hands est à la fois Gene Rowlands et Éloïse Cornet, critique de cinéma. Sur le plateau, on a ceux qui détestent John Cassavetes : par exemple, la critique Pauline Kael (formidable Dominique Blanc) qui démolit systématiquement chacun de ses films. Et, ceux qui l’idolâtrent comme Peter Falk (Nicolas Chupin) qui co-finança le tournage d’Une femme sous influence. Ce film, chef d’œuvre cinématographique, est d’ailleurs au centre du spectacle. Cassavetes dira qu’il l’a fait pour Gena. Pour lui, comme pour Gena, Une femme sous influence est d’abord un film sur l’amour.

© Christophe Raynaud de Lage : CONTRE d’après la vie et l’œuvre de John Cassavetes et Gena Rowlands avec la troupe de la Comédie-Française

Avec la scénographie d’Alwyne de Dardel, nous sommes dans une sorte de loft fait de bric et de broc qui pourrait être le domicile des Cassavetes, là où justement le cinéaste tourna Une femme sous influence, un loft où l’on retrouve aussi toute la galaxie qui entoure le couple : les copains mais aussi ceux avec qui le cinéaste se confronte pour tenter de faire ses films. Pour le couple, la vie et le cinéma ne faisaient qu’un. C’est une excellente idée de tout situer dans un même décor aussi bien les émissions avec les critiques de cinéma que les scènes plus personnelles. Ou même des scènes de tournage comme celle des spaghettis dans Une femme sous influence. En fil rouge, sur écran, on a le procès fictif, qui aurait été intenté par le chef opérateur de Shadows : chaque témoignage, chaque interrogatoire filmé en gros plan, nous renvoie une facette de Cassavetes, personnage complexe et paradoxal. En outre, ce loft correspond bien à la façon dont Cassavetes tournait ses films, sans gros de budget, hypothéquant sa maison si nécessaire. On retrouve le côté expérimental, la liberté transgressive qu’il recherchait dans son cinéma. Il ne s’agit pas d’un documentaire, ni d’un biopic. On a l’impression de vivre un moment avec ces artistes, ces critiques, avec ce petit monde qui gravitait autour de John Cassavetes et de Gena Rowlands, de partager des instants de vie avec ce couple mythique : les fous rires, les engueulades, les gestes de tendresse ou les coups de colère… On parle, on mange, on boit… Beaucoup ! On a vraiment le sentiment d’être au cœur d’une aventure artistique ‘à part’.

Les comédiens sont excellents : on citera Dominique Blanc, Marina Hands, Sébastien Pouderoux sans oublier les plus jeunes. Pas de récit chronologique. Mais un enchainement des scènes, fluide, rapide, comme dans un montage cinématographique. Pour finir, on retiendra cette phrase que Cassavetes répète à plusieurs reprises au cours du spectacle parce qu’elle nous dit beaucoup de ses films où il cherchait avant tout à capter la vie : « J’aime les hommes et les femmes (… ) Je veux faire des films sur des hommes et des femmes ».

CONTRE, d’après la vie et l’œuvre de John Cassavetes et Gena Rowlands : Constance Meyer, Agathe Peyrard et Sébastien Pouderoux, avec la troupe de la Comédie-Française, au Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier 75006 Paris (25 septembre – 3 novembre 2024)

 

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