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« Dancing Pina » :« Chantez avec votre corps »

© Enno Endlicher : Répétition du Sacre du printemps de Stravinski, chorégraphie de Pina Bausch, dans Dancing Pina de Florian Heinzen-Ziob

 

 

Dancing Pina : «Chantez avec votre corps »

 

 

Par Chantal Boiron

Dans Dancing Pina, un très beau film, et très émouvant, Florian Heinzen-Ziob nous montre combien, dix ans après la mort de Pina Bausch, sa « danse reste vivante », « en mouvement perpétuel ».

Comment transmettre l’héritage de Pina Bausch sans Pina ? C’est la question à laquelle le cinéaste tente de répondre dans son film à travers deux magnifiques expériences, menées par Joséphine Ann Endicott, Malou Airaudo, Clémentine Deluy, danseuses emblématiques de la troupe du Tanztheater de Wuppertal. 

 

"Dancing Pina", un film de Florian Heinzen-Ziob © Images de Enno Endlicher : Répétition du "Sacre du Printemps" de Stravinski, chorégraphie de Pina Bausch

©  Enno Endlicher : Répétition du Sacre du Printemps de Stravinski, chorégraphie de Pina Bausch, dans Dancing Pina, un film de Florian Heinzen-Ziob

 

En 2019, elles ont recréé, avec de jeunes danseurs, deux œuvres majeures de Pina Bausch, qu’elles-mêmes avaient dansées sous sa direction : Iphigénie en Tauride de Gluck à l’Opéra de Dresde, au bord de l’Elbe, en Allemagne. Et, Le Sacre du Printemps de Stravinsky, à l’École des Sables de Germaine Acogny, au bord de l’océan atlantique, au Sénégal. À travers de longues séquences filmées, on voit comment les danseuses de Pina, véritables dépositaires de son œuvre, font travailler, répéter ces jeunes danseurs jusqu’à ce qu’ils s’approprient une chorégraphie qui leur était souvent totalement inconnue: « Surtout ne pas faire une copie pour ne pas perdre l’essence de l’héritage », faire tout pour que ce soit une « vraie rencontre » disent-elles. Notamment, au Sénégal où Joséphine Ann Endicott, aidée par Jorge Puerta Armenta, va travailler avec une quarantaine de jeunes gens venus de toute l’Afrique (Niger, Togo, Bénin, Mali, Burkina-Faso…), très souvent sans grande expérience et, très souvent, avec des histoires de vie difficiles, compliquées. Pour venir vivre cette aventure unique, l’une a dû quitter son pays, son enfant, l’autre, affronter le rejet, les critiques de sa famille : « Faire ce sacrifice pour la Danse » dira un jeune danseur africain. Les échanges durant les séances de travail sont passionnants : il est beaucoup question de la culture africaine, des danses rituelles, des techniques qui diffèrent de celles de l’Occident.

 

"Dancing Pina", un film de Florian Heinzen-Ziob - © Images de Enno Endlicher : répétition de "Iphigénie en Taurine" de Gluck, chorégraphie de Pina Bausch

© Enno Endlicher » : Répétition de Iphigénie en Tauride de Gluck, chorégraphie de Pina Bausch – In Dancing Pina, un film de Florian Heinzen-Ziob

 

En Allemagne, si les jeunes danseurs, venus des États-Unis, de Corée du Sud ou d’ailleurs, ont eu la chance de recevoir une formation plus solide, l’enjeu reste exactement le même : se dépasser, aller au-delà de soi-même. Combattre les préjugés et le rapport que l’on a avec son corps. Sangeun Lee, la jeune danseuse sud-coréenne qui va interpréter Iphigénie, au Semperoper de Dresde, se trouve trop grande. Certaines des jeunes danseuses africaines se trouvent trop grosses. Se convaincre, comprendre que tout individu peut danser. Et là, encore, les danseuses de Pina se montrent attentives, rassurantes, parlant d’elles-mêmes, de leur propre rapport au corps, de leur étonnement de voir Pina Bausch s’intéresser à elles, leur demander de rejoindre sa troupe.  

Et, ce sont d’autres histoires douloureuses comme celle de Julien Amir Lacey, l’interprète d’Oreste dans Iphigénie en Tauride : quand il était enfant, tout le monde se moquait de lui parce qu’il voulait être danseur, sauf son père qui a cru en lui. On entre dans le vécu de la transmission, à l’intérieur du travail et dans cette intimité-là. 

Pour les danseuses de Wuppertal, il s’agit de « transmettre un mouvement comme on fait apprendre les lettres de l’alphabet ». C’est aussi apprendre «une position confortable « à la Pina » ou bien « la perte de contrôle » : « Laisse-toi aller, relâche-toi » dit Malou Airaudo à Sang … Ou bien, c’est Joséphine Ann Endicott qui conseille aux jeunes danseurs africains : «Chantez avec votre corps ». Les séances de travail alternent avec des entretiens que le réalisateur a menés avec les directrices artistiques et les jeunes danseurs. Pour se nourrir de l’œuvre de Pina, ceux-ci regardent, entre deux séances de travail, des archives de l’époque sur leur ordinateur ou leur téléphone mobile. Grande émotion quand on revoit, à travers le regard de Sang qui va s’emparer du rôle, Malou Airaudo danser Iphigénie en Tauride, à la création. Il y a aussi ce que les danseuses de Wuppertal disent à ces jeunes gens, ce qu’elles leur racontent de leur propre histoire avec Pina Bausch : « Pina ne disait pas grand-chose. Quelques mots suffisaient ». Pina n’est plus là. Et, pourtant, elle est toujours là. C’est très fort. Et les images du cameraman Enno Endlicher sont superbes.

 

 

"Dancing Pina", un film de Florian Heinzen-Ziob : répétition de "Iphigénie en Taurine" de Gluck, chorégraphie de Pina Bausch - © Images de Enno Endlicher

© Enno Endlicher : Sangeun Lee dans Iphigénie en Tauride de Gluck, chorégraphie de Pina Bausch.

 

Le Covid 19 et le confinement stopperont brutalement ces deux belles aventures. Quelque chose de difficile à vivre pour ces jeunes danseurs, surtout au Sénégal, où il y a le projet de danser Le Sacre du Printemps à Paris, à Londres. Germaine Acogny, la Sage, leur dira ce proverbe wolof : «Tout ce qui a transpiré pénètre dans la terre et ne s’efface plus ».

À Dresde, quand on sortira de la pandémie, les représentations de Iphigénie en Tauride auront lieu au Semperoper devant un public. Au Sénégal, c’est sur une plage de sable, face à l’océan, avec le bruit des vagues, que les jeunes danseurs africains feront d’abord revivre magnifiquement, avec leur énergie, leur violence, leur sensualité, Le Sacre du Printemps.

Deux ans plus tard, ils le danseront enfin devant du public, à Madrid et à Paris, au Parc de la Villette. Avec la danse de Pina, Florian Heinzen-Ziob nous transmet encore  la beauté, et  la vie dans toute sa complexité. 

 

Dancing Pina, un film de Florian Heinzen-Ziob : Sortie nationale en France le 12 avril 2023

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