Bienvenue sur le site de la revue Ubu
 

L’art du couscous

© Éric Didym – Bruno Ricci et  Taha Alami dans Comment réussir un bon petit couscous de Fellag, mise en scène de Michel Didym

L’art du couscous

 

Par Chantal Boiron

C’est du théâtre de tréteaux que Michel Didym a imaginé pour la pièce de Fellag, Comment réussir un bon petit couscous, avec Bruno Ricci et le musicien Taha Alami : une petite forme pouvant se jouer en plein air, se transporter aisément d’un lieu à l’autre et, dans le cadre de « L’Été culturel et apprenant », d’un village à l’autre, à travers les Vosges et la Lorraine, de Villers-Lès-Nancy à Gérardmer. Un dispositif minimaliste qu’on peut installer aussi bien au bas des immeubles d’une cité, dans la cour d’un lycée, ou dans un parc verdure. Cela se résume à une petite scène, recouverte d’un ou deux tapis où trône, sur son trépied, un superbe couscoussier. Un peu plus loin, une tente sert de coulisses. Voilà qui suffit pour réussir un théâtre populaire, convivial et joyeux. Mais pas que…

On connaissait la fameuse recette du couscous pour avoir entendu Fellag nous la donner lui-même sur scène, il y a déjà plusieurs années. Parmi le public de Fellag, il y a toujours beaucoup de spectateurs originaires d’Algérie et, en particulier, de Kabylie, sa région natale. On imagine l’ambiance dans la salle avec les éclats de rire, les commentaires qui fusent, les youyous enthousiastes qui nous portent dans une Méditerranée « débordante » et généreuse. Pourtant, depuis qu’il vit en France, c’est surtout aux « Français de souche » comme il les nomme avec malice que Fellag s’adresse. Ainsi a-t-il inventé, dans Comment réussir un bon petit couscous, un personnage de conférencier, spécialiste du « couscous », loufoque et burlesque, qui vient donner à nos fameux « Français de souche » des conseils pour réussir un plat qu’ils plébiscitent. Un sondage paru dans la presse affirme en effet que le couscous, cette spécialité culinaire qui nous vient de la cuisine berbère traditionnelle, est désormais le plat préféré des Français… bien avant la pizza italienne ou le rosbif anglais. Provocateur sans en avoir l’air, notre orateur y voit là « un aveu et un signe d’affection des Français de souche envers les Maghrébins ». Bref, une déclaration d’amour qui se ferait grâce à l’art culinaire.

Et, sous prétexte de leur expliquer comment faire un bon couscous (choix de la semoule, des légumes, de la viande etc.), notre conférencier s’amuse à leur envoyer des piques, des vérités bien senties sur leur ignorance, leurs peurs irrationnelles, leurs préjugés envers les Arabes. La recette du couscous devient un cours de civilisation et de géopolitique sur les peuples de la Méditerranée, musulmans, juifs ou chrétiens, qui partagent la même « passion couscous ». Et voilà que notre conférencier, décidemment très documenté, nous explique dans une démonstration implacable le « complexe de la merguez » !

Si Fellag ne cherche pas à envoyer de message politique, il nous renvoie à la fois, à l’actualité et, en allant plus loin, à notre histoire commune que bien des Français de souche, justement, refusent de regarder en face. Fellag réussit à nous faire rire de nous-mêmes. Et le rire, on le sait, est l’arme la plus efficace qui soit. C’est drôle et percutant. Fellag est un orfèvre des mots et un fantastique conteur. Comme Shéhérazade, notre conférencier enchaîne les histoires: les aventures fabuleuses et désopilantes de Nasreddine, plus malin et facétieux encore qu’un Scapin. Il nous traduit la conversation de « l’Arabe du coin », qui d’ailleurs n’est pas du tout Arabe mais Berbère marocain et qui, au téléphone, conseille à son cousin de rester dans son village natal et surtout de ne pas venir en France, un pays où il y a maintenant bien « trop d’étrangers » et lui cite, au passage, « Richard Aznavour (sic) » qui chante que «la misère est moins pénible au soleil ».

 

"Comment réussir un bon petit couscous" de Fellag, mise en scène Miche Didym, avec Bruno Ricci et Taha Alami; coproduction: La Manufacture/CDN Nancy Lorraine et La Mousson d'Été

© Éric Didym : Comment réussir un bon petit couscous de Fellag, avec Bruno Ricci et Taha Alami mise en scène de Michel Didym (La Manufacture/CDN Nancy Lorraine)

 

Bruno Ricci s’est emparé, à son tour, de la conférence de notre Docteur es couscous : c’est d’ailleurs Fellag qui l’a d’abord dirigé. Notons que ce passage de relais entre l’auteur né dans le Djurdjura et le comédien né dans l’Est de la France et issu d’une famille italienne, nous montre combien les mots de Fellag sont universels. Et Ricci est un formidable acteur. Ce qui est d’ailleurs troublant, c’est sa ressemblance avec Fellag, avec lequel il partage aussi le talent d’improviser à partir de l’actualité. Maintenant, il est question, par exemple, de Donald Trump.

Avec les événements de ces derniers temps, sans doute écoute-t-on différemment la version de Bruno Ricci et de Michel Didym. On rit, mais, derrière le rire, il y a beaucoup d’interrogations. La réflexion est peut-être plus grave qu’il y a quelques années. Et n’oublions pas la musique de Taha Alami, complice et faire-valoir souriant de notre conférencier qui, à l’heure où de nombreuses frontières restent encore fermées, est comme une invitation au voyage dans un Orient raffiné et sensuel, qui nous semble désormais bien lointain.

Ce petit spectacle vif et plein d’humour qui, tout l’été, va tourner dans les lycées et dans les écoles résonne comme un appel à la tolérance et au vivre « bien » ensemble.

 

 

Tournée : 17 juillet : La Scène, Châtenois (88) ; 16 août : Cour du Lycée Bardot, Pont-À-Mousson (54) ; 20 août : Jardin des Faïenciers, Sarreguemines (54) ; 22 août : Cour de l’école maternelle, Atton (54) ; 26 août : Abbaye des Prémontrés, Pont-À-Mousson (54) ; 28 août : La Comète, Châlons-en-Champagne (51) ; 29 août : Espace Michel Bertelle, Blénod-Lès-Pont-À-Mousson…

 

Share Post