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Richard III : de Matthias Langhoff à Marcial di Fonzo Bo

© DR Christophe Raynaud de Lage : Marcial di Fonzo Bo dans Gloucester Time/Matériau Shakespeare/Richard III, reprise de la mise en scène de Matthias Langhoff (1995) par Frédérique Loliée et Marcial di Fonzo Bo (2021).

 

 

Richard III : de Matthias Langhoff à Marcial di Fonzo Bo 

 

Par Chantal Boiron

Pour la réouverture en septembre dernier du Théâtre des Cordes, à la Comédie de Caen qu’il dirige depuis 2014, Marcial di Fonzo Bo a reconstitué, avec la comédienne Frédérique Loliée, Gloucester Time/Matériau Shakespeare/Richard III, qu’ils avaient tous deux créé en 1995 au Festival d’Avignon, dans la mise en scène de Matthias Langhoff. Marcial di Fonzo Bo y jouait le rôle-titre, qui le révéla au public et à la critique (1). Frédérique Loliée, la reine Margaret, veuve du roi Henri VI. Ce fut un énorme succès. Aujourd’hui, c’est un spectacle culte.

Ils ont voulu transmettre à de jeunes acteurs leur « héritage langhoffien », riche de sa tradition brechtienne, de la même manière que Langhoff avait fait appel, pour la création, aux jeunes comédiens qu’ils étaient alors : ils sortaient tout juste de l’École du Théâtre national de Bretagne fondée par Emmanuel de Véricourt, faisaient partie de la première promotion et Langhoff avait été l’un de leurs professeurs.

Au centre dramatique nationale de Caen, qui n’a pas d’école de théâtre, la transmission se fait par le compagnonnage.

 

Un théâtre de l’artisanat

 

"Gloucester Time/Matériau Shakespeare/Richard III"- Photo : C.RdL

© DR Christophe Raynaud de Lage : Gloucester Time/Matériau Shakespeare/Richard III,  mise en scène de Frédérique Loliée et Marcial di Fonzo Bo

 

Un projet enthousiasmant et un sacré défi que les deux comédiens ont magnifiquement relevé. Pourtant, ce n’était pas gagné. D’abord, parce qu’il fallait ‘faire’ sans Matthias Langhoff qui n’aime pas reprendre ses anciens spectacles. Il ne le fait jamais. Mais, il est resté à leurs côtés durant les répétitions. D’autre part, le décor d’origine ayant été détruit à la fin de la tournée, jeté après la dernière à Berlin dans les bennes de la capitale allemande, la scénographe Catherine Rankl a dû le refaire. Le nouveau décor a été construit à l’identique, mais avec de nouvelles proportions et d’autres matériaux répondant aux normes actuelles, dans les ateliers de la Comédie de Caen. Et là, il y a transmission d’un savoir-faire.

C’est un théâtre de tréteaux qui évoque le Globe de Shakespeare et implique une machinerie artisanale complexe avec des escaliers, des treuils manuels permettant de lever, au moyen de poulies et de cordages, la partie centrale du plateau. Cette scénographie, tout en mouvement, s’appuyant sur la Biomécanique de Meyerhold, donne un dynamisme formidable au jeu des acteurs.

D’autre part, Marcial di Fonzo Bo et Frédérique Loliée ont demandé une nouvelle traduction, d’une grande force poétique, à l’écrivain Olivier Cadiot. Enfin, se posait forcément pour eux-mêmes, la question du temps qui a passé : 27 ans, ce n’est pas rien pour un comédien. En reprenant les rôles qu’ils avaient joués en 1995, ils devaient composer avec leur vécu, la transformation de leur corps, avec une nouvelle image de leur personnage.

In fine, ce qui aurait pu entraver la réussite de leur projet s’est transformé en atout. Ce n’est pas une reprise à laquelle nous assistons mais une restitution, disons une recréation. C’est le même spectacle et c’en est un autre, tout aussi puissant et passionnant. Nous l’avons vu à la Comédie de Béthune (12-14 janvier 2022), au début de la tournée. Le public, avec beaucoup de jeunes dans la salle, était enthousiaste.

Dans cette mise en scène de Richard III, le théâtre se fait à vue. De simples rideaux (blancs ou colorés), coulissant sur des fils de fer, suffisent pour passer d’une scène à l’autre, d’un lieu à l’autre : des rues de Londres au palais du roi, de la Tour au champ de bataille etc. Les seize acteurs et actrices (belle troupe!) jouent plusieurs rôles, indépendamment du sexe de leurs personnages. Afin que ce soit plus clair, l’un d’eux ou l’une d’elles dit rapidement quelques didascalies, introduit les personnages. Il, elle devient pour quelques secondes le narrateur, un double de Shakespeare.

Les accessoires, de bric et de broc, sont souvent décalés. Par exemple, le sbire chargé d’assassiner Clarence (Michele de Paola), arrive à la Tour de Londres où celui-ci est emprisonné, avec sa boîte à outils comme le ferait un plombier. Après avoir tué le frère de Richard, il découpera son corps et en jettera avec une sauvagerie joyeuse les morceaux (bras, jambes…) dans la salle. Notons d’ailleurs que les accessoiristes, ce sont les acteurs eux-mêmes. Il leur arrive, par exemple ; de manipuler les treuils ou à Richard de déplacer le projecteur qui l’éclairera. Comme ça se passait dans le théâtre élisabéthain, ils jouent avec les spectateurs, s’adressent à eux, vont très naturellement s’asseoir à leurs côtés.

Avec Shakespeare, c’est toujours le théâtre dans le théâtre. Dans ce spectacle, c’est jubilatoire. Et, si l’on y privilégie l’artisanat du théâtre, on utilise quelquefois, à bon escient, les moyens d’aujourd’hui. Dans la première partie, la scène où le Lord Maire (Arnaud Vrech) accepte que Richard devienne roi se transforme en scène de cabaret filmée par une équipe de télévision. Dans la seconde partie, avant la bataille de Bosworth, Matthias Langhoff a rajouté le commentaire d’un reporter de guerre (Nabil Berrehil) durant la Guerre du Golfe. Notre histoire rejoignant ainsi celle des contemporains de Shakespeare.

 

Pouvoir des mots et folie meurtrière

 

"Gloucester Time/Matériau Shakespeare/Richard III"- Photo: C.RdL

© DR Christophe Raynaud de Lage : Frédérique Loliée et Marcial di Fonzo Bo répétant Gloucester Time/Matériau Shakespeare/Richard III, à la Comédie de Caen

 

Dans l’interprétation de Marcial di Fonzo Bo, Richard est un meurtrier cynique et manipulateur, avec un charisme démoniaque, et d’une intelligence redoutable. Un serial killer qui nous paraît d’autant plus dangereux que Marcial Di Fonzo Bo joue avec une grande économie, comme s’il intériorisait son personnage. Boiteux, difforme, complexé et jaloux de ses frères, lui-même le dit dans son premier monologue, il n’a qu’un objectif, s’emparer du trône d’Angleterre. Dans la première partie, Marcial di Fonzo Bo lui apporte aussi quelque chose de décontracté, comme si Richard était certain de la réussite de son entreprise. Il est comme un prédateur, un animal cruel qui guette tranquillement ses proies.

Une de ses meilleures armes, c’est le pouvoir des mots. On le voit dès le début dans la joute verbale qui l’oppose à Lady Anne (Isabel Aimé González Sola). Il lui suffit d’une scène pour la convaincre de l’épouser lui, qui a tué son mari, le Prince de Galles, et son beau-père, le roi Henri VI. Il la séduit dans une rue de Londres, alors qu’elle suit le convoi funèbre du roi. Richard, lui-même, sera sidéré de la facilité avec laquelle il est arrivé à ses fins. Une fois Lady Anne conquise, tout lui semble permis. Pour lui, c’est comme un blanc-seing. À partir de là, il pourra orchestrer sans impunité sa conquête du pouvoir. Comédien et metteur en scène, il ne tuera plus de ses propres mains. Il utilisera des voyous, se servira des autres. Par exemple, Buckingham (Kevin Lelannier) dont il fera sa marionnette.

L’autre arme de Richard, c’est la peur qu’il provoque chez les autres. Une des rares personnes qui ne le craint pas, c’est la Reine Margaret, la veuve de Henri VI, interprétée par Frédérique Loliée. Elle aussi possède le pouvoir des mots : c’est une imprécatrice qui prédit les crimes de Richard et annonce à chacun le désastre qui l’attend. Frédérique Loliée en fait une Cassandre, ravagée par l’alcool et déjantée, qui parle cash. Ses malédictions sont saisissantes. Elle aussi, elle peut provoquer la peur y compris chez Richard. Ils ont tous deux les mêmes armes et le même aplomb.

 

De la farce au tragique

 

"Gloucester Time/Matériau Shakespeare/Richard III" _ Photo: C.RdL

© DR Christophe Raynaud de Lage : Marcial di Fonzo Bo dans Gloucester Time/Matériau Shakespeare/Richard III

 

Dans la seconde partie, le ton n’est plus le même. On va passer de la farce au tragique. Alors qu’il distillait la peur chez les autres, Richard, qui a atteint son but, est confronté à la folie et à la solitude du tueur. Au contraire, Margaret triomphe. Avec son cabas en plastique, style Carrefour ou Monoprix, où elle garde les portraits des morts, elle s’assoit à côté d’un spectateur et en sort tranquillement une bouteille de vin. Trop contente d’avoir eu raison, elle va régler ses comptes à toutes les victimes de Richard… encore vivantes. La première sera la reine Elizabeth (Margot Madec), qui pleure ses deux jeunes fils, assassinés sur l’ordre de leur oncle.  Margaret tire de son cabas sa bouteille de vin et la lui tend. Bienvenue au club !  

Avant le couronnement de Richard, il y aura une très belle scène entre sa mère, la Duchesse d’York ( Manuela Beltrán Marulanda), la reine Elizabeth et lady Anne. Ce sont les femmes qui se montrent les plus lucides vis-à-vis de lui. Ce sont elles qui représentent la résistance à Richard III. Sa mère lui dit ses quatre vérités. Mais, diabolique, il finit toujours par susciter leur confiance et en abuse. Lui arrive-t-il, par moments, d’être sincère ou jamais, la question demeure. En tout cas, face aux femmes, il est différent. Dans cette confrontation, Marcial di Fonzo Bo en fait un être tragique.

Avec le pouvoir sans limite, Richard III découvre aussi le doute, la méfiance. La seconde partie, c’est la révolte et la lutte sans merci contre sa tyrannie. Ce sont des scènes de guerre et le bruit des canons… La nuit précédant la bataille de Bosworth, tous ceux qu’il a assassinés reviendont le hanter dans son sommeil. La peur a définitivement changé de camp : c’est Richard qui a peur désormais.

Notons que l’armée de Richmond est jouée, principalement, par des femmes. Une armée d’amazones. Celle de Richard III, ce sont des guerriers, aux allures de nazis. La scène finale, très belle, résonne comme une métaphore. Le combat contre Richard devient une chasse aux sangliers. À l’intérieur d’un sanglier tué, il y a le cadavre de Richard III… la bête est morte.

 

 

 

1) – Marcial di Fonzo Bo reçut le Prix d’interprétation de la critique théâtrale à Barcelone et le Prix de la Révélation du Syndicat de la critique dramatique en France

Gloucester Time Matériau Shakespeare – Richard III, d’après la mise en scène de Matthias Langhoff (1995) : Création le 13 septembre 2021 au Théâtre de Cordes, Comédie de Caen – CDN de Normandie ; puis reprise du 23 au 27 novembre 2021. 

En tournée : Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, CDN :   du 1er au 5 février 2022 ; Le Volcan, scène nationale du Havre : 25 et 26 février 2022 ; le Tangram, scène nationale d’Évreux : 8 et 9 mars 2022 ; La Comédie de Genève : du 27 au 30 avril 2022 ; la Comédie de Reims, CDN : 4 au 6 mai 2022 ; La Villette, Paris : du 12 au 15 mai 2022

 

 

 

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