© Catedral Archivo Bienal / Óscar Romero
29e Arte Flamenco à Mont-de-Marsan : l’hymne à la liberté de Patricia Guerrero
Par Chantal Boiron
À Mont-de-Marsan, durant toute une semaine, au début de chaque été, on vit à l’heure flamenco : on respire flamenco, on vibre au rythme du flamenco… et ce, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Fondé il y a vingt-neuf ans par Henri Emmanuelli (alors député des Landes) et sa femme Antonia, le festival Arte Flamenco est devenu, hors de l’Andalousie, le rendez-vous incontournable où se retrouvent les étoiles de la galaxie flamenca, attirant un public international toujours plus nombreux. En juillet, la cantaora Marina Heredia avec sa voix sublime, le danseur gitan El Choro et bien d’autres participaient au 29e Arte Flamenco (3-8 juillet 2017).
Initié il y a seulement trois ou quatre ans, le off ne cesse de se développer. À chaque coin de rue, dans tous les bars de la ville, à toute heure du jour et de la nuit, on chante, on danse flamenco, on joue de la guitare. Les musées organisent des expositions sur des peintres andalous ; la librairie Caractères propose des rencontres sur les spectacles du festival.
Désormais, la passion flamenco s’étend à tout le département des Landes et gagne toutes les générations de la population. Pendant l’année scolaire, des danseurs et des chorégraphes andalous viennent en résidence dans les villages landais apprendre aux enfants, dès le primaire, les rudiments du flamenco. Ainsi, Anabel Veloso a réalisé avec une cinquantaine d’élèves de l’école de Saint-Sever, une très belle et sensible adaptation du Petit Prince de Saint-Exupéry, El Principito, qui a fait un triomphe (mérité) sur la scène du Théâtre de Mont-de-Marsan.
Le festival Arte Flamenco, c’est aussi la découverte de nouvelles générations d’artistes. La transmission se fait ici de façon naturelle, dans la curiosité et le partage. La talentueuse Patricia Guerrero a présenté à Mont-de-Marsan, pour la première fois en France, sa nouvelle création Catedral (Giraldillo du Meilleur Spectacle à la Biennale de Séville). Elevée dans le catholicisme, la jeune chorégraphe granadina a voulu porter un regard critique sur le pouvoir de la religion et dénoncer l’oppression qu’elle peut exercer notamment à l’encontre des femmes. Dans Catedral, Patricia Guerrero s’interroge sur la nécessité de s’affranchir de ce carcan, de se libérer de la violence que la religion peut exercer à l’intérieur de chacun de nous.
Quand le spectacle commence, on entend le tintement des cloches d’une église, peut-être celles de la cathédrale de Grenade. Vêtue d’une robe somptueuse mais austère, Patricia Guerrero est assise dans un fauteuil que l’on pourrait dire « papal ». Une mantille recouvre sa chevelure. Près d’elle, un candélabre est allumé. On entend des prières. Trois femmes entrent. Elles aussi sont habillées de façon stricte mais, à la différence de Patricia Guerrero, n’ont pas de mantille. Ces femmes pourraient être ses doubles.
Deux jeunes religieux en soutane rouge, dont la blondeur contraste avec la chevelure sombre des danseuses, chantent le Lamento de Didon de Purcell. Diego et Daniel Pérez, ténor et contre-ténor, sont de vrais jumeaux. Ces anges blonds ne seraient-ils pas des démons ? Et leurs chants, des voix que l’héroïne croit entendre ? On est dans l’illusion baroque. On est dans l’Espagne de la Contre-Réforme catholique, celle de l’Inquisition qui fut terrible en Andalousie. Dans la pénombre, les robes des danseuses tournoient. Sur leurs visages, on devine de la colère, de l’angoisse, une violence à peine contenue. De la révolte, aussi.
Patricia Guerrero a eu la bonne idée de faire appel au metteur en scène Juan Dolores Caballero. Une des forces de ce spectacle, c’est sa construction dramaturgique. Il y a un récit, une narration. Et, une montée constante dans l’émotion. Un des jeunes religieux enlève la mantille qui cache les cheveux de Patricia Guerrero. Peu à peu, celle-ci va se défaire de sa lourde robe comme si elle voulait délivrer son corps des chaînes qui l’entravent. Entre elle et la robe, qui semble résister, c’est un combat sans merci que la danseuse mène avec rage et détermination. Désormais, elle ne porte plus qu’une simple robe noire, mais toujours fermée jusqu’au cou. Un guitariste et un chanteur flamenco ont succédé aux chanteurs baroques.
Il y a une grande épure dans la chorégraphie de Patricia Guerrero, et toute cette émotion retenue nous bouleverse. Et puis, il y a le rythme incroyable du flamenco qui nous enflamme. Quand le chanteur quitte la scène, une des trois danseuses, vêtue exactement de la même façon que Patricia Guerrero, la rejoint. Ensemble, les deux femmes dansent un magnifique duo au simple son de la guitare. C’est comme un jeu de miroir. Et, un moment d’intimité d’une grande sensualité.
Chaque mouvement, chaque geste dansé pour se débarrasser petit à petit de parures trop contraignantes est un pas vers la liberté. Lorsque les trois danseuses déboutonnent leurs robes noires, sous lesquelles on devine des jupons clairs, elles esquissent un sourire : il y a, enfin, chez elles, un peu de légèreté. Assise dans son fauteuil, Patricia Guerrero les regarde danser : est-ce elle-même qu’elle observe à travers ses doubles ? Elle aussi finira par déboutonner sa robe noire, laissant entrevoir une robe rouge et un jupon blanc.
Quand les deux jeunes religieux reviennent, elle enlève entièrement, et cette fois-ci devant eux (avec leur complicité ou pour les défier ?), sa robe noire et libère sa chevelure. Dans sa robe rouge flamboyante, qu’elle a dégrafée, elle est enfin elle-même. Et tandis que les voix flamenca se mêlent au dernier chant de Didon, elle se donne tout entière à sa danse. Libre…
Catedral, chorégraphie de Patricia Guerrero, coproduction Bienal de Flamenco de Sevilla, Festival de Jerez et Conseil départemental des Landes.
En tournée : 11 Juillet : Festival Internacional de Musica y Danza de Italica (Séville, Espagne) ; 13 Juillet : Festival Internacional Musica y Danza de Granada, Espagne ; 17 Janvier 2018 : Bolzano, Italie ; 19 Janvier 2018 : Sienne, Italie ; 10 mars : Almería, Espagne…