© DR Bertrand Stofleth : Arthur Fourcade et Pascal Cesari dans La Peur de François Hien, mise en scène: Arthur Fourcade, François Hien/L’Harmonie Communale
La Peur : un prêtre face à la Vérité
Par Chantal Boiron
Écrivain, acteur, réalisateur de documentaires, François Hien a cofondé avec Nicolas Ligeon, la compagnie lyonnaise L’Harmonie communale qui depuis 2020 est associée au Théâtre des Célestins. C’est dans ce théâtre qu’eut lieu en novembre dernier la création de sa nouvelle pièce, La Peur (1). Il en co-signe la mise en scène avec Arthur Fourcade qui interprète le principal protagoniste, le père Guérin.
La Peur est un texte complexe. Au cœur de la pièce, il y a le trajet du père Guérin vers la Vérité et vers « sa » propre vérité avec des flashes-back et des interrogations troublantes sur son passé. En arrière-fond : la question des abus sexuels, des crimes pédophiles commis au sein de l’église catholique, du silence complice d’évêques ou de cardinaux mais aussi celle de la vie sentimentale et sexuelle des prêtres, et du dilemme auquel beaucoup se retrouvent un jour confrontés. Comment vivre sa foi, comment être en accord avec sa religion dans une église figée dans ses dogmes, qui cultive l’omerta et manifeste tant de difficultés à évoluer, à se remettre en cause face aux changements de notre société ?
Dans son théâtre, comme il le fait d’ailleurs dans ses documentaires, François Hien s’empare de faits divers tragiques, avec les scandales et les controverses qui s’ensuivent : la culture du viol dans La Honte, la double affaire du père Preynat et du Cardinal Barbarin qui a gravement secoué le diocèse de Lyon, dans La Peur. La fiction théâtrale est un moyen direct, sensible de les aborder.
La pièce de François Hien est construite comme une succession de dialectiques à la fois concrètes, parce qu’elles concernent la réalité quotidienne et la vie d’un homme, mais aussi métaphysiques et théologiques parce qu’elles tournent autour de la question de la responsabilité, de la culpabilité et, in fine, de la foi. La pièce de François Hien fait appel à ces différents niveaux de lecture et de réflexion qui se répondent et s’imbriquent les unes dans les autres comme les pièces d’un puzzle.
La première dialectique, c’est celle qui oppose le père Guérin et l’évêque Millot (Marc Jeancourt). Le premier a perdu sa paroisse pour avoir eu une relation amoureuse affichée et durable avec un jeune Marocain qu’il a ramené en France et employé comme jardinier. Mais, parallèlement, il a contribué à rompre le silence de l’Église, en révélant les agissements criminels du père Grésieux, qui a commis des viols sur des enfants durant des années, en toute impunité. Monseigneur Millot, préférant le silence au scandale, s’était tu. Suite à une lettre du père Guérin, qui l’avait mis en cause peut-être par esprit de vengeance, l’évêque est convoqué au tribunal. Mais, auparavant, il rend visite au Père Guérin, qui habite désormais chez sa sœur Mathilde (Estelle Clément-Bealem), et lui propose une nouvelle paroisse… Il lui demandera également un témoignage plus favorable lors de son procès.
Une autre dialectique (passionnante), à la fois violente et profondément humaine, confronte le père Guérin au jeune Morgan (Pascal Cesari) qui fut l’une des petites victimes du père Grésieux. Chaque dimanche, à la fin de la messe dans sa nouvelle paroisse, Morgan invective le père Guérin, l’interroge sur son revirement au sujet de l’évêque Millot. Or, c’est justement Morgan qui, par une forme de maïeutique et ses questions indiscrètes, conduira le père Guérin sur le chemin de la vérité. De ce rapport conflictuel, une amitié va naître. Morgan sera celui à qui le père Guérin osera dire son amour et son désir pour Tawfik, et sa douleur. Il sera aussi celui qui obtiendra son aveu concernant le procès de Monseigneur Millot.
Il y a encore une autre dialectique, plus intime et tout aussi violente, entre le père Guérin et Tawfik (Ryan Larras), son ancien amant qui, en France (« ce pays dangereux ») a beaucoup changé et finit par se perdre. Pour Tawfik, le père Guérin est l’unique responsable de ce qui lui arrive. Enfin, il y a le personnage de Mathilde qui, par ses remarques pertinentes, par son ironie socratique elle aussi, renvoie son frère à ses contradictions, « le saint homme » selon les mots de Morgan, mais qui ne prend pas le temps de rendre visite à leur vieille mère. Ce sont justement ses contradictions, sa vulnérabilité, sa profonde humanité qui nous attachent au père Guérin : « J’essaie d’unifier ma vie. Mais choisir sa pureté plutôt que les devoirs qu’on doit à l’autre, c’est un grand péché » dira-t-il à Morgan.
La scénographie d’Anabel Strehaiano est très simple. Au sol, un damier de carreaux noirs et blancs délimite l’aire de jeu. À l’arrière-plan, une grande toile qui prendra, au fil de la représentation, prendra, grâce aux lumières de Nolween Declamp-Risse, des tons chauds, ocres ou terre de sienne. Seul élément scénique, une longue table de bois, comme celles que l’on pourrait trouver dans une vieille demeure, par exemple dans un ancien presbytère, et deux bancs. Voilà qui suffit à représenter les différents lieux de l’action : le logement de Mathilde, le tribunal, la nouvelle paroisse du père Guérin, sa nouvelle cure etc… Ce minimalisme favorise l’attention, l’écoute du spectateur.
Même si sa pièce s’achève par les aveux enregistrés de Monseigneur Millot et la possibilité d’un véritable procès, François Hien ne donne pas de réponse… Au contraire, il laisse toutes les questions ouvertes.
Ce que nous racontent ses personnages, ce qu’ils ont vécu, ou ce qu’ils vivent, nous amène à réfléchir au devenir de l’Église catholique, à sa nécessaire transformation non seulement pour répondre à l’exigence de vérité mais aussi pour être, tout simplement en phase avec notre société, avec la réalité des gens.
- La Peur de François Hien, mise en scène par Arthur Fourcade et François Hien/Compagnie L’Harmonie Communale a été créée aux Célestins, Théâtre de Lyon (17 novembre-5 décembre 2021)
- En tournée : Théâtre La Mouche, Saint-Genis-Laval le 6 janvier 2022 ; Théâtre Jean Marais, Saint-Fons le 25 mars 2022 ; Université de Strasbourg le 4 mars 2022
- Le texte de la pièce est publié aux éditions Théâtrales.